Le cabinet Noveo Conseil a réalisé depuis 2008 d’importantes études sur les acteurs de la gestion de privée. Lors d’une conférence à Paris en avril dernier ont été présentés les résultats d’un travail sur les gérants de fortune indépendants (GFI) en Suisse et au Luxembourg.
Au Grand-Duché cette population est une sous-catégorie des Professionnels du secteur financier (PSF) tels qu’ils sont définis et régis par la loi du 5 avril 1993, notamment en termes d’agrément pour l’exercice de la profession. Il n’existe au Luxembourg qu’une cinquantaine de structures de ce type (51 précisément) avec environ treize milliards d’euros sous gestion (plus de 200 milliards dans les banques). En Suisse, ils sont plus de 3 500, gérant plus de 300 milliards d’euros.
Après avoir quasiment doublé de 1993 à 2001, le nombre de GFI luxembourgeois n’a que faiblement augmenté depuis, avec seulement onze entités créées entre 2001 et 2008. De ce fait, la moitié des cabinets actuels ont plus de dix ans d’existence. Pour la plupart, comme en Suisse, ils ont été créés par d’anciens banquiers soucieux, surtout à partir d’un certain âge, de faire fructifier leurs compétences pour leur propre compte.
Les structures sont de taille modeste en général, que ce soit en termes de personnel (10,6 personnes en équivalent temps plein), de nombre de clients (42 p.c. ont moins de cent clients et 42 p.c. sont dans la tranche 100-250 clients) et surtout d’actifs : 65 p.c. gèrent des avoirs inférieurs à 500 millions d’euros. Noveo Conseil estime le portefeuille moyen des structures de GFI à environ 250 millions d’euros. Mais un cabinet sur cinq gère plus d’un milliard d’euros et quelques grosses structures gèrent plusieurs milliards.
Les GFI luxembourgeois ont, comme les banques de la place, une clientèle de proximité : les Luxembourgeois représentent 17 pour cent des avoirs, et le reste de l’Europe (surtout la Belgique, l’Allemagne et la France) 72 p.c. Eux aussi souhaitent développer la clientèle provenant des marchés émergents, en particulier celle des pays d’Europe de l’Est dont plusieurs ont vocation à rejoindre la zone euro à moyen terme.
Une des particularités du Luxem-bourg tient au poids de la clientèle institutionnelle chez les GFI : 45 p.c. des cabinets mentionnent cette catégorie de clients. Ce taux est proche de celui cité en Suisse (47 p.c.), mais il apparaît que les GFI luxembourgeois ayant ce type de clients sont plus fréquemment spécialisés sur cette clientèle (environ les trois quarts). Un grand nombre de cabinets n’ont donc pas du tout de clientèle de particuliers, situation inexistante en Suisse.
La palette de produits proposés est large mais néanmoins très axée sur les placements collectifs (95 p.c. offrent des OPC contre 70 p.c. en Suisse). L’importance des institutionnels explique sans doute pourquoi les hedge funds sont proposés dans 80 p.c. des cas, contre seulement 52 p.c. en Suisse.
En revanche, à part la fiscalité (80 p.c. des cas), l’ingénierie patrimoniale, les trusts et la philanthropie ne font pas l’objet de conseils développés (respectivement 60, 58 et 10 p.c. des cabinets, dans tous les cas bien moins qu’en Suisse). La structure de la clientèle est sans doute, à nouveau, responsable de cette situation.
La rémunération moyenne des GFI est de l’ordre de 1 pour cent des actifs sous gestion (1,3 p.c. en Suisse). Elle provient principalement de commissions de gestion (management fees) et de rétrocessions. Ces dernières sont évoquées par 81 p.c. des cabinets (contre 61 p.c. en Suisse). Mais la directive Mifid impose aux GFI une transparence totale sur les rétrocessions, ce qui tend à réduire leur part dans les revenus au profit des commissions de conseil. 54 p.c. des cabinets évoquent ces advisory fees (38 p.c . seulement en Suisse), tendance portée par une forte croissance de la demande de conseil fiscal.
De façon générale, sur les clients particuliers, les GFI cherchent à dépasser la simple gestion de portefeuille pour s’intéresser à la totalité du patrimoine, incluant notamment l’immobilier et les actifs professionnels. Leurs homologues français aiment d’ailleurs à se définir comme des architectes de solutions globales, des « chefs d’orchestre » qui mettent en musique des solutions dans tous les domaines (fiscal, juridique, financier, immobilier) afin d’optimiser la gestion du patrimoine de leurs clients. Cette optique met davantage l’accent sur la dimension conseil, et peut aussi conduire à proposer des services allant au-delà des aspects financiers (improprement qualifiés de « conciergerie » d’après leur appellation anglo-saxonne).
Pour l’intégralité des GFI interrogés au Luxembourg, leur croissance est freinée par les coûts administratifs, eux-mêmes liés à une pression réglementaire toujours plus forte. Cette dernière reste la principale inquiétude quant à l’évolution du métier même si pour nombre d’entre eux le point culminant a déjà été atteint.
La difficulté à recruter du personnel qualifié est également un important frein au développement. 92 p.c. des cabinets en parlent (contre 58 p.c. de leurs homologues suisses). Ainsi se trouve à nouveau posée, au Luxembourg, la question de l’adéquation, sur le plan quantitatif comme qualitatif, des formations proposées aux besoins des professionnels de la place.
Contrairement au marché suisse encore très fragmenté (une grande partie des cabinets n’y pas la « taille critique »), les gérants luxembourgeois ont déjà vécu un large mouvement de concentration lié à l’alourdissement de la réglementation sur les PSF, et ne voient pas ce phénomène s’accentuer.
70 p.c. sont très confiants quant à leurs possibilités d’augmenter leurs actifs sous gestion au détriment des banques. Ils disposent à cet égard d’atouts non négligeables. En tant qu’anciens banquiers pour la plupart, ils disposent d’un réel savoir-faire technique et commercial, propre à rassurer les clients. Ils sont réputés assurer une prise en charge personnalisée des clients, associée à une disponibilité totale pour ces derniers, avec la volonté de construire avec eux une relation à long terme. Ils présentent de ce fait l’avantage de la stabilité, alors que les chargés de relation dans les banques « tournent » assez fréquemment.
Leur indépendance est également appréciable, leur modèle d’affaires étant par essence celui de « l’architecture ouverte », alors que les banques sont souvent soupçonnées de promouvoir les produits maison. « Notre véritable valeur ajoutée est notre liberté », explique Jean-Pierre Rondeau, président d’une association professionnelle française.
Si l’on compare la situation du Luxembourg à celle de pays voisins, comme la Belgique ou la France, on peut effectivement penser que par un simple effet de rattrapage, les GFI y ont un bel avenir. C’est encore plus vrai par rapport à la Suisse, le Royaume-Uni ou l’Italie, où leur part de marché sur le marché de la gestion privée est considérable (20 p.c.)
Mais ils devront pour cela faire face à un double défi, difficile à relever : diversifier leur clientèle en augmentant la proportion de particuliers au détriment des institutionnels et davantage l’internationaliser. Un objectif raisonnable serait de parvenir, comme en Suisse, à 20 p.c. de clients hors autochtones et ressortissants d’Europe de l’Ouest (contre 11 p.c. aujourd’hui).