d’Lëtzebuerger Land : Le secteur financier s’est stabilisé en 2010. À quoi faut-il s’attendre en termes de résultats cette année ?
Jean Guill : Nous observons certaines évolutions dans les banques au premier trimestre : comparée à l’année précédente, la marge d’intérêt a fortement baissé, ce qui est dû en partie au deleveraging, c’est-à-dire la réduction de la somme des bilans des banques. Les opérations de crédit restent très fortes, on l’oublie parfois. C’est quand même l’octroi de crédits qui fait les revenus normaux des banques et l’octroi de crédits est resté très élevé pour les banques luxembourgeoises, tant sur le marché domestique que sur le plan international. Nous constatons une assez belle reprise des revenus de commissions, étant donné, et cela se remarque aussi dans les OPC, que les bourses ont remonté depuis la fin de la crise, à la fin 2008. Les autres revenus sur les portefeuilles sont également positifs. Nous voyons donc, bien qu’à un niveau un peu plus modeste, que le résultat des banques a renoué avec la situation normale d’avant la crise.
Vous n’avez pas déjà une idée de ce que sera le résultat au second trimestre ?
Il est trop tôt pour le dire. Il n’y a pas de raisons de croire qu’il y aura une évolution majeure entre le premier et le deuxième trimestre. Ce qui est en soi réconfortant. 2010 sera une année raisonnablement bonne pour les banques luxembourgeoises.
L’évolution de la fiscalité oblige les banques à changer leur modèle d’affaires, élargir leur fonds de commerce dans la gestion privée notamment. Où en est cette diversification des clients et comment expliquer que certains établissements réussissent mieux que d’autres ?
La gestion privée est un domaine important pour la Place, mais je veux encore une fois souligner que le domaine de l’octroi de crédits reste aussi un pilier important. Dans le domaine de la gestion privée, nous notons effectivement certains changements dans la clientèle. Les clients plus anciens, par le simple fait de changement de génération, doivent être remplacés. Il est bien connu aussi que la Place cherche à se constituer une clientèle dans les pays du Golfe, en Asie et en Amérique latine. Cette diversification se fait de façon forcément inégale d’un établissement à l’autre, notamment en raison de l’origine géographique des établissements. Vous ne voyez pas le même type de diversification géographique dans une banque scandinave que dans une banque allemande ou italienne. De façon très schématique, nous observons la tendance à une clientèle plus fortunée que ne l’était la moyenne de la clientèle jusqu’ici. Cela étant, il ne s’agit pas de complètement remplacer une clientèle existante par une clientèle nouvelle. Je crois que, comme pour tout commerçant, il est important de d’abord fidéliser la clientèle existante et de lui trouver peut-être les solutions qui soient les bonnes pour une évolution, une situation qui change. À cette fidélisation, il convient évidemment de trouver de nouveaux clients et sur ce point, nous voyons quand même une tendance vers le haut.
Dans la banque privée, vous attendez-vous à des abandons d’activité, voire des fermetures d’établissements, en raison de leur incapacité à renouveler leur base de clients ?
Il y a toujours eu des départs et des arrivées, mais je ne vois pas dans la banque privée de projets d’abandon.
Dans le sens inverse, avez-vous des contacts avec des groupes qui voudraient s’implanter au grand-duché ?
Il y a des candidats à l’implantation, de différentes manières d’ailleurs : soit en rachetant des banques soit en en créant. Le signal le plus important, dans le premier groupe est sans doute le rachat de KBL par Hinduja, lequel est intéressé par une clientèle privée, mais aussi par la clientèle indienne de la diaspora, très nombreuse. Le groupe industriel peut aussi avoir d’autres intérêts pour l’économie luxembourgeoise.
Comptez-vous assouplir davantage les règles d’entrée pour obtenir une licence bancaire en permettant par exemple à un fonds d’investissement d’être actionnaire d’une banque, sans être adossé à un partenaire institutionnel faisant partie du monde de la banque ou de l’assurance ? On a dit que vous n’avez pas accepté que le fonds américain KKR reprenne seul KBL et demandé que ce fonds s’allie au Foyer/Luxempart pour déposer une offre.
Ce n’est pas vrai. Si d’ailleurs nous avions été contre, nous n’aurions jamais laissé aller l’affaire aussi loin. Je pense que si quelqu’un venait se présenter à la CSSF avec l’idée de vouloir reprendre ou de créer une banque au Luxembourg, nous n’attendrions pas la fin de l’opération si nous la jugions inappropriée et ça ne paraîtrait jamais dans la presse. Dans ce cas concret, nous n’avions aucune objection. C’est aussi vrai dans d’autres dossiers. Nous n’avons pas demandé à ce qu’il y ait, à côté de KKR, la présence de Foyer et de Luxempart. C’était leur propre choix de s’associer.
Il s’agit d’un assouplissement des règles qui prévalaient il y a encore peu de temps ?
Il n’y avait pas de règles formelles, mais nous avons sur ce point aujourd’hui une vue différente de ce qui pouvait être le cas, il y a quelques années où un investisseur de private equity était quelque chose de plutôt exotique. Aujourd’hui, c’est devenu plus courant, plus acceptable, parce que ces investisseurs ont aussi changé. Les investisseurs de private equity qui s’intéressent à reprendre une banque pensent à beaucoup plus long terme que dans d’autres domaines, ce qui est important.
Le secteur financier dit avoir besoin de temps pour s’adapter à la disparition du secret bancaire. Trois ans vous paraissent un délai tenable, avant d’accepter l’échange automatique d’informations et de facto, la fin du secret bancaire ?
Je précise, la fin du secret bancaire en matière fiscale. Cela fait maintenant plus de trois ans que les autorités essaient d’expliquer au secteur financier qu’il faudra un jour s’adapter à une situation différente. Et nous voyons depuis quelques années que la plupart des banques, mais aussi la clientèle, réfléchissent à ce changement à venir et mettent en place les solutions pour précisément vivre avec ces changements.
Donc, si dans trois ans, on passe à l’échange automatique, il n’y aura pas de grande révolution sur la place financière, car les banques sont prête.
Elles devraient l’être, car elles connaissent les risques. Le passage d’une retenue à la source de 35 pour cent fera aussi une différence notable d’avec la situation actuelle.
La part du « business » onshore est-elle vraiment de 50 pour cent, comme on le prétend volontiers. Des observateurs qui se veulent un peu réalistes estiment que cette part n’atteint pas plus de 20 pour cent, parce que l’on a tendance à considérer comme des comptes onshore ce qui relève en fait de l’offshore. Où est la vérité ?
Il n’y a pas de définition scientifique entre ce qui relève d’un côté de l’on-shore et de l’autre de l’offshore. Les termes ont d’ailleurs considérablement changé de signification en quelques années. En raison de cette absence de définition, il n’est pas possible de donner un chiffre exact. Cela étant, les parts sont très différentes d’une banque à l’autre. Les banques plus anciennes ont sans doute une part plus importante de clients offshore que les établissements récents, étant donné précisément que leur création remonte à une autre époque. La vérité se situe sans doute entre 20 et 50. D’ailleurs, les banques ne savent pas exactement ce que leurs clients racontent à leur fisc. Elles ont une idée. Et l’idée que j’entends le plus souvent, c’est qu’on est quelque part au milieu entre ces deux chiffres. Ce qui est important, c’est que ce transfert de l’offshore vers l’onshore, au sens de fiscalement déclaré ou fiscalement pas déclaré, se fasse le plus rapidement possible.
Certains professionnels de la place sont demandeurs pour que la CSSF crée un statut spécial pour les family offices. Allez-vous le faire ?
Personne ne nous l’a jamais demandé. Le family office est une activité très intéressante dans le domaine de la banque privée pour les clients fortunés qui demandent davantage que la gestion de leurs actifs et réclament un service complet. Les banques, les gérants de fortune le font et ont droit de le faire et les sociétés d’intermédiation financière ont été créées en partie à cet effet. Je crois qu’il y a suffisamment de statut pour pouvoir effectuer ce genre d’activité. Je pense d’ailleurs que nous devons faire attention à ne pas encore compliquer le foisonnement de statuts différents. La liste de PSF (professionnels du secteur financier, ndlr) qui sont prévus dans notre législation rend déjà très difficile la distinction entre les uns et les autres.
Y en a-t-il trop ?
Il y en a du moins assez. Il faut faire attention à ne pas rajouter des taxinomies qui ne font pas de sens.
La surveillance bancaire a été renforcée en 2009, avec des contrôles sur place plus musclés. Quelle est maintenant votre feuille de route ?
Nous continuons sur notre lancée. Dans un environnement où les gens, heureusement, ont mieux conscience du risque que ce n’était le cas auparavant, il y a une demande pour une surveillance efficace. Nous avons un programme pour les contrôles sur place et il va s’intensifier dans les années à venir.
Les nouvelles règles du Comité de Bâle sur les ratios de solvabilité des banques sont d’une grande complexité. Comment les banques luxembourgeoises vont-elles s’adapter à ces changements majeurs ?
Ce ne sont pas tant les changements de Bâle, mais surtout les conclusions qui en sont tirées à Bruxelles que nous transposons. La première étape sera la transposition de la directive CRD2 sur les exigences en fonds propres. Viendra ensuite ce qui est maintenant en discussion à Bâle sur le renforcement des fonds propres et les règles de liquidité. Effectivement, nous constatons qu’il y a un trop plein de bonnes idées sur ce que l’on peut faire. On ne peut pas tout faire en même temps, sinon on risque d’étrangler le crédit. Il faudra faire la part des choses. On parle de 2012, mais jusqu’ici les calendriers de Bâle ont été très flexibles. Les banques luxembourgeoises devront s’y faire. Nous essayons de faire de notre mieux pour que ce soit raisonnable. Mais il faut aussi savoir que les banques luxembourgeoises ont une situation de fonds propres confortable. Ce qui est d’ailleurs normal pour les banques qui sont surtout axées sur la gestion privée. En ce sens, il n’y aura pas trop de difficultés.
Un autre sujet d’inquiétude des banquiers porte sur la question des rémunérations et des bonus. Les professionnels ont jusqu’au 30 juin pour élaborer les principes d’une politique de rémunération, jusqu’à fin septembre pour communiquer à la CSSF. Cette politique devra être mise en place à partir de l’exercice 2011. Où en êtes-vous ? Envisagez-vous des délais supplémentaires ?
Il ne faut pas envisager de délais supplémentaires. Primo, les délais sont là. Deuxièmement, ces règles s’appuient sur des recommandations de la Commission européenne qui passeront bientôt à un niveau législatif supérieur. Déjà dans la directive CRD2 et dans la directive en discussion sur les gérants de fonds alternatifs, les principaux éléments des recommandations sont repris. Ce qui est pour l’heure une recommandation deviendra une obligation qu’il faudra transposer en droit luxembourgeois. Il ne ferait aucun sens de retarder ce qui est en train de se mettre en place. Je m’attends à recevoir des réponses très différentes d’une banque à l’autre en raison de l’importante diversité entre les établissements. Il faut préciser que le but de l’exercice est de veiller très clairement à ce que la politique de rémunération ne conduise pas à une prise de risque inconsidérée. Nous ne sommes nullement intéressés à des montants chiffrés sur ce que gagne un tel ou un tel.
Vous deviez présenter en mai dernier au ministre des Finances un document renforçant les pouvoirs de la CSSF, notamment en matière de sanctions, et son contrôle des règles de conduite. Le document est-il prêt ? Quelle sera désormais l’étendue de vos pouvoirs ?
Nous avons un programme législatif très ambitieux, puisque nous souhaitons effectuer une révision intégrale et, je dirais permanente, de tous les textes qui régissent la place financière. Nous constatons qu’il y a toujours de nouveaux éléments et de nouvelles idées pour améliorer la législation existante. Il s’agit d’un travail en continu. Nos deux premières priorités pour l’instant sont la transposition de la directive OPCVM IV et de la directive CRD2. Nous profiterons de ces deux transpositions pour intégrer un certain nombre d’améliorations des textes. Nous avons achevé comme prévu à la fin mai un projet de loi sur les pouvoirs de sanctions de la CSSF. Le texte doit encore être soumis à un comité compétent en la matière avant d’être transmis au gouvernement. Il s’agit bien entendu d’avoir un meilleur catalogue de sanctions, de renforcer dans ce catalogue les amendes chiffrées et surtout d’améliorer la procédure de prise de sanctions. Il y avait le risque d’encourir le reproche d’un conflit d’intérêt, du fait que nous effectuerons l’instruction de dossiers et qu’ensuite nous prendrons la décision de sanction. Nous nous sommes inspirés du système d’auditeurs de nos voisins en Belgique et en France. Les amendes sont très basses, de 125 euros à 12 500 maximum. La plus forte amende passera à 1,250 million d’euros, si le projet passe en l’état. Nous allons donc rajouter quelques zéros et surtout, nous allons y ajouter des amendes proportionnelles à l’opération qui doit être sanctionnée, jusqu’à dix pour cent.
Que prévoyez-vous d’autre ?
Nous voulons une meilleure gradation des sanctions. Tout cela existe déjà, mais les textes ne sont pas très bien organisés. La procédure n’est pas celle qui devrait être. Nous disposons déjà du pouvoir de donner des injonctions, d’interdire une activité ou à une personne de poursuivre ou non son activité professionnelle, de proposer au ministre le retrait d’un agrément. Ces textes doivent cependant être sérieusement revus.
Ça veut dire que jusqu’à présent, vous n’avez pas utilisé les pouvoirs à votre disposition en raison de la complexité des procédures et non pas par manque de volonté de le faire ?
Nous avons utilisé surtout le droit d’injonction et, dans certains cas, le retrait d’agrément, ce qui est surtout plus fréquent dans le domaine des OPC et des Sicars. Le dernier retrait de licence bancaire remonte à la BCCI, il y a près de vingt ans. Étant donné que la procédure n’était pas appropriée, il n’a pas été fait l’usage que l’on pouvait espérer de ces textes.
La réforme sera prête pour quand ?
Cela dépend du comité de juristes auxquels le projet a été soumis. Nous pensons néanmoins pouvoir le transmettre avant l’été au gouvernement, sinon tout de suite après, ce qui ne fait pas de différence dans le calendrier législatif.
Que sont devenus les anciens comités au sein de la CSSF ?
Nous les avons réorganisés : il existe une liste des comités, mais on n’y trouve plus les noms de leurs membres pour la simple raison que pour l’heure, nous procédons davantage par le biais de réunions ad hoc. Nous avons restructuré les sujets et cherchons vraiment à nous entourer des experts qui sont les plus impliqués dans le domaine.
Faut-il s’attendre aussi à des changements dans le Conseil de la CSSF ?
Le Conseil de la CSSF a essentiellement des compétences en matière budgétaire. Bien entendu, le gouvernement nomme ses membres sur proposition des différents secteurs et nous demande aussi notre avis. Au plus tard en 2011, il faudra renouveler le conseil. Personnellement, je pense utile d’y faire entrer un représentant de la profession de l’audit qui jusqu’ici n’était pas sous notre surveillance. Il serait normal que cette profession soit représentée.
La CSSF est devenue en peu de temps une grande administration. Certains banquiers se plaignent de délais de réponses et de traitement de leur dossier de plus en plus longs, alors que la CSSF était jusqu’à présent connue pour apporter une réponse rapide aux besoins du secteur financier.Où en est le pragmatisme du régulateur luxembourgeois ?
Du côté des banques, je vois peu de sujets sur lesquels cette critique pourrait être justifiée. Je suis conscient que dans le domaine des OPC et surtout des FIS (fonds d’investissement spécialisés, Ndlr), nous sommes un peu victimes de notre propre succès et qu’effectivement les délais se sont rallongés. Cela tient en partie à la complexité grandissante des dossiers. De plus, on nous demande de ne pas simplement les estampiller, mais de les regarder de près et de pouvoir justifier par la suite que nous avons vraiment vu toutes les subtilités qui ne sont pas toujours ouvertement montrées dans tous les documents. Il y a là certainement quelque chose où nous pouvons faire encore mieux. Ce qui impliquerait davantage de personnel. Cela dit, avoir deux fois plus de gens ne signifie pas forcément que le travail va aller deux fois plus vite. Dans ce domaine, il faudra néanmoins encore renforcer les équipes et rationaliser le travail.
La CSSF ne risque-t-elle pas de devenir une administration à deux vitesses, avec les anciens fonctionnaires et les nouveaux venus qui ont pour la plupart été recrutés dans le secteur privé, auprès des cabinets d’audit ou d’avocats ? Comment faire pour que les équipes travaillent efficacement ensemble ?
Nous avons recruté beaucoup et nous devrons encore le faire. Ce qui constitue en effet un challenge pour organiser les équipes. Je ne crois pas que nous avons créé deux mondes à l’intérieur de la CSSF. De plus, nous avons embauché un certain nombre de personnes qui ont une grande expérience professionnelle et qui ont pu se mettre immédiatement au travail, ce que nous visions.
Sur le dossier Madoff, vous avez dû reconnaître dans la presse que vous vous étiez fait berner.
Précisément. Et c’est la raison pour laquelle il ne faut plus qu’après, on puisse nous reprocher de ne pas avoir vu dans certains dossiers des notes de pied bien cachées. Nous devons nous doter des compétences et prendre le temps de tout analyser.
Il faut savoir que les avocats ont déjà planché pendant des mois dans leurs études sur les dossiers complexes qu’ils nous présentent. Nous devons comprendre les dossiers, obtenir les explications que nous demandons.
La CSSF est-elle désormais en mesure d’assurer sa propre évaluation indépendante des différents risques du secteur financier ? Pourrez-vous un jour vous passer des réviseurs ?
Nous avons toujours su faire nos propres évaluations. Plus nous aurons de capacités, plus nous pourrons le faire nous-même et moins nous aurons besoin du travail des réviseurs externes. Mais nous n’avons pas l’intention de nous passer d’eux, car ils sont une source extrêmement utile de renseignements. Peut-être la balance change-t-elle de côté parce que nous pouvons faire désormais plus nous-mêmes.
Pour devenir plus efficace, ne faut-il pas, comme le demande l’OCDE, fusionner les autorités prudentielles : CSSF, BCL, Commissariat aux assurances ?
Si nous n’avions qu’une seule autorité, je suis presque certain que l’OCDE et consorts nous recommanderaient de la scinder en plusieurs entités pour éviter les conflits internes entre politique monétaire et surveillance prudentielle, entre banques et assurances. La seule chose sur laquelle il y a vraiment un consensus au niveau international, c’est que personne n’a encore pu démontrer que tel système est meilleur que tel autre. C’est pour cela que je n’ai pas de religion sur le sujet. Je dis simplement une chose : si l’on veut vraiment causer un dommage à la Place, on devrait commencer un débat institutionnel sans rimes ni raison. Voyez ce qui se passe dans nos trois pays voisins qui sont tout le temps en train de refaire l’architecture de leurs institutions. Il n’y a rien de plus démotivant pour le personnel. Il n’y a pas de raison donc pour l’instant de changer la structure qui existe.
Ce n’est donc pas une question d’homme, comme pourrait le dire Yves Mersch, le président de la Banque centrale du Luxembourg, qui a récemment déclaré qu’il était prêt à s’effacer pour les besoins de la cause ?
Les institutions devraient quand même être organisées avec leurs propres objectifs en tête et non pas en raison de telle ou telle personne.
C’est pourtant le sentiment que l’on a pour le secteur des assurances, par exemple. Et même à la BCL.
Chaque fois que l’idée d’un rapprochement a été mise en avant, il y a eu une argumentation fondée du secteur des assurances pour expliquer pourquoi ce secteur ne doit pas être mélangé au secteur des banques. Il n’y a donc pas que des questions de personnes là-derrière. Ce qui pourrait être le cas, c’est que la taille des deux institutions soit tellement différente, qu’à un certain moment, la politique pourrait dire, pour des raisons d’efficacité, que la taille ne justifie plus la séparation. Ce qui a d’ailleurs été fait à l’époque pour le commissariat aux bourses.
Concernant les risques souverains, les engagements que les banques luxembourgeoises détiennent dans les dettes d’États plus vulnérables vous inquiètent-ils ?
D’une façon générale, je ne donne pas dans cette hystérie sur les risques souverains. Je ne vois pas de pays qui soit dans une situation telle qu’ils ne pourrait plus payer leurs dettes. Dans l’Union européenne, nous avons quand même clairement agi au niveau politique pour clarifier cette situation. Pour la Place, nous ne voyons pas d’établissements qui seraient en danger, même si cette hypothèse irréaliste venait à se réaliser quand même. Il n’y a pas d’engagements qui aient une taille telle qu’il faudrait avoir des craintes. Nous avons d’ailleurs les chiffres pour la Grèce et vous avez pu voir qu’il s’agissait de chiffres qui, comparés à la somme des bilans des banques ou aux avoirs des fonds d’investissements, étaient insignifiants.
Deux rapports récents, celui de l’OCDE et celui plus récent du FMI, ont pointé la faiblesse du risque de contrôle de liquidités et surtout l’absence de mécanisme formel de coopération entre la CSSF et la Banque centrale du Luxembourg. Reconnaissez-vous ces faiblesses ?
La CSSF est compétente pour la surveillance de la liquidité au niveau individuel des différents établissements, alors que la Banque centrale est responsable de la surveillance de la liquidité sur un plan plus général et sur la fourniture de liquidités ‘au cas où’. Nous avons tous les deux une responsabilité dans ce domaine. Nous ne sommes pas d’accord avec les analyses de l’OCDE et du FMI. Nous avons essayé de leur expliquer, mais je pense que ces institutions qui ont leur schéma de pensée propre, n’ont pas forcément pris en compte les particularités de la Place luxembourgeoise où pratiquement toutes les banques sont des succursales ou des filiales de groupes bancaires internationaux à l’intérieur desquels doit pouvoir se faire une gestion raisonnable des liquidités. Ces institutions n’ont pas très bien perçu que la gestion des liquidités à l’intérieur des groupes est autre chose que de donner ces liquidités à l’extérieur du groupe. Nous ne faisons donc pas la même analyse sur ce qu’ils croient être les faiblesses pour les risques du système bancaire ici au Luxembourg.
En ce qui concerne notre coopération avec la Banque centrale, précisément, je pense qu’elle s’est notablement renforcée et qu’elle fonctionne très bien, en ce sens que nous tenons des réunions ensemble, nous effectuons des visites sur place en commun. Qu’il y ait un Mémorandum signé où en voie de l’être ne va pas changer les choses. C’est le travail concret qui avance et qui avance bien.
Il est donc inutile à vos yeux d’institutionnaliser davantage les relations entre les deux maisons ?
Nous n’avons aucune objection à signer un papier là-dessus, mais l’essentiel c’est que ça fonctionne sur le terrain. Quoi qu’il en soit, toutes les questions de liquidités n’ont plus l’actualité qu’elles ont eue au pire moment de la crise. Pour l’heure, le sujet n’est pas devant le radar.
L’OCDE recommande au Luxembourg de clarifier les règles des dépositaires. Que comptez-vous faire ?
Nous n’avons pas l’intention de faire cavalier seul. Il y a d’ailleurs une disposition prévue dans le projet de directive sur les gérants de fonds alternatifs pour clarifier les choses. Cela se fera au niveau européen.
Comment évolue le dossier Madoff ? UBS, la banque dépositaire est-elle impliquée dans la procédure d’indemnisation à l’amiable des plusieurs milliers de clients ?
Le dossier évolue normalement. Nous sommes proches de conclure les différents éléments du dossier au niveau de la surveillance prudentielle et des conclusions que nous en tirons. Ça voudra dire qu’un certain nombre d’intervenants, un certain nombre d’établissements auront dû renforcer leurs procédures. Ce qui conduit d’ailleurs à une généralisation des meilleures procédures sur la Place. Ça voudra dire aussi que l’un ou l’autre aura vu son honorabilité professionnelle égratignée, voire retirée. À notre niveau, le dossier est proche de sa conclusion.
Nous avons vu dans la presse ces informations sur les procédures d’indemnisation à l’amiable que nous ne comprenons pas du tout. Nous n’avons aucune connaissance que des banques ici à Luxembourg soient impliquées dans cette procédure. Nous serions satisfaits qu’il y ait des indemnisations à l’amiable et que les affaires ne traînent pas en justice encore pendant assez longtemps.
Des administrateurs et anciens administrateurs d’UBS pourraient donc être frappés. Certains occupent des responsabilités importantes dans des banques qui ne sont pas forcément au Luxembourg. Quelle sera la portée de vos décisions ?
Certaines personnes se verront retirer leur agrément. Pour celles qui continueront à exercer, cela voudra dire que nous ne leur auront pas retiré leur honorabilité professionnelle.
Allez-vous rendre vos décisions publiques ?
Non, nous avons bien marqué que ces décisions individuelles n’étaient pas publiques.
Où en est la réforme de la garantie des dépôts ?
La Commission européenne est sur le point de sortir une proposition sur la garantie des dépôts. Nous attendions cette proposition pour que nous puissions amender, le cas échéant, le texte que nous avons élaboré, qui est prêt, pour ne pas être en contradiction flagrante avec ce que la Commission propose.
Le relèvement des montants garantis à 100 000 euros ne va-t-il pas poser de problèmes aux banques ?
Il faudra une période relativement longue pour alimenter le fonds jusqu’à raz bord. Nous attendons de voir sur ce point quels sont les délais que la Commission va prévoir, afin de nous aligner. Notre projet prévoit une période de vingt ans, comme en Suisse, mais je crois que la Commission veut aller plus vite. Mais elle veut aussi aller jusqu’à un plafond moins élevé que ce que nous avions en tête. C’est là encore un paramètre qu’il nous faudra ajuster en fonction des propositions de la Commission européenne.