Le cabinet Ernst [&] Young vient de publier son quatrième rapport annuel Islamic Funds and Investment Report (IFIR 2010). Les actifs gérés en fonds islamiques n’ont pas beaucoup progressé en 2009, atteignant 52,2 milliards de dollars contre 51,4 milliards fin 2008. Au nombre de 700 environ, les fonds de ce type représentent un pour cent du nombre d’OPC dans le monde, et seulement 0,24 p.c. des actifs totaux. Même au sein de la « finance islamique », les fonds ne pèsent que très peu : à peine 5,5 p.c. d’une masse d’épargne évaluée à 940 milliards de dollars.
En termes d’évolution, la situation est même préoccupante : en 2009, il n’y a eu que 29 lancements de produits nouveaux, contre 78 en 2008 et 173 en 2007, de sorte que l’année dernière, il y a eu quasiment autant de fonds liquidés (27) que de fonds créés. « Cette tendance est le reflet d’un changement net des préférences des investisseurs, et démontre qu’il est nécessaire pour les gérants de fonds islamiques d’adapter leurs stratégies et modèles opérationnels aux nouveaux niveaux d’attente », estime Pierre Weimerskirch, d’Ernst [&] Young Luxembourg.
La répartition entre les différentes classes d’actifs montre que les fonds sont plutôt investis de manière traditionnelle, avec 35 p.c. en actions, 14 p.c. en obligations et 14 p.c. en monétaire. Cela étant, un infléchissement s’est produit en 2009, avec un intérêt grandissant pour les hedge funds et les trackers. La moitié des nouveaux fonds y ont été dédiés. De ce fait, les placements « alternatifs » pèsent aujourd’hui 16 p.c. du total, bien plus que l’immobilier (7 p.c.).
Le rapport considère que l’exposition aux marchés actions a été favorable en 2009, car elle a permis de profiter de la reprise des marchés : le rendement moyen des fonds islamiques a été en effet de 20,9 p.c. sur l’année, davantage qu’en 2007 (17,4 p.c). En revanche, elle pourrait s’avérer moins pertinente avec la forte volatilité actuelle des marchés (le rendement a d’ailleurs été négatif de presque 4 p.c. au premier trimestre 2010).
Une autre tendance marquante, entamée dès avant 2009, a été la réorientation vers les clients institutionnels. Environ deux-tiers des fonds islamiques leur sont désormais dédiés, contre 45 p.c. en 2006.
Malgré cela, les fonds islamiques restent de petite taille. En mars 2010, 55 p.c. des 201 gérants de fonds étudiés ont moins de 50 millions de dollars sous gestion (39,3 p.c. ont même moins de 25 millions). Un sur neuf seulement gère plus de 500 millions. Or, la « taille critique » serait de 80 à 100 millions par fund manager. En effet, la concurrence (avec les fonds traditionnels mais aussi les autres fonds islamiques) a provoqué une forte diminution de la rémunération des fonds, qui s’établit désormais à 1,15 p.c. des actifs sous gestion, contre 1,53 p.c. en 2006 et 1,39 p.c. en 2008. En quatre ans, elle a donc baissé de 38 points de base. « Les gérants de fonds de tailles modestes font face à une pression énorme en termes de rentabilité », déclare Pierre Weimerskirch.
Logiquement, la masse d’argent à collecter pour amortir les frais de gestion a augmenté, même si des efforts importants ont été réalisés (et sont encore prévus) pour les réduire. La moitié des fonds islamiques actuels pourraient donc ne pas être rentables, ce qui laisse prévoir un mouvement de consolidation à long terme. En outre, les gérants sont à la recherche d’économies d’échelles à travers le lancement de structures de fonds internationales.
Malgré la stagnation observée en 2009, les perspectives pour les fonds islamiques sont très bonnes. La population des pays musulmans augmente davantage que celle des pays d’Europe et d’Amérique du Nord. L’Indonésie compte désormais plus de 200 millions d’habitants, le Pakistan 174 et la Turquie 75, autant que les trois pays du Maghreb. L’Inde à elle seule abrite 160 millions de musulmans et la Chine entre 30 et 50.
Leur niveau de vie progresse régulièrement, de sorte qu’une importante classe moyenne se constitue, avec une bonne capacité d’épargne. Une partie croissante des musulmans est sensible au principe d’investissements compatibles avec la loi coranique, surtout depuis la crise financière, car la Charia interdit la spéculation et privilégie les critères éthiques et sociaux.
Ernst [&] Young s’est livré à une estimation, qui a porté sur les pays du Golfe, le Pakistan, la Malaisie et l’Indonésie. Chez les particuliers, la clientèle des mass affluent est la plus intéressée par l’investissement islamique : 35 à 40 p.c. des épargnants y sont sensibles, contre 20 à 25 p.c. pour la clientèle « riche » (détenant plus d’un million de dollars). Cette différence est attribuée au fait que les clients affluent sont devenus beaucoup plus prudents. Les plus riches sont aussi plus familiers des banques occidentales et assez méfiants vis-à-vis de la finance islamique.
Partant de là, Ernst [&] Young situe le potentiel de ces pays, en matière de fonds islamiques, dans une fourchette de 160 à 190 milliards de dollars, dont environ trois quarts pour la clientèle mass affluent et un quart pour les high net worth individuals.
Du côté des institutionnels, qui sont devenus une cible préférentielle pour les sociétés de gestion, le potentiel est naturellement plus important, dans une fourchette de 200 à 290 milliards, surtout grâce aux institutionnels purement islamiques car la « sensibilité à la Charia » des gérants de fonds souverains et de fonds de pension reste assez faible (de 5 à 20 p.c.).
Au total, selon Ernst [&] Young, dans les pays étudiés le pool de richesse investissable selon les critères de la Charia atteint 480 milliards de dollars, bien davantage que ce représente actuellement, au niveau mondial, l’asset management islamique (moins de 300 milliards). Mais le manque de confiance, surtout chez les particuliers, les a conduits jusqu’ici à préférer les placements en épargne bancaire plutôt que d’investir dans les fonds. Par conséquent, un simple déplacement des sommes placées suffirait à développer de manière considérable l’industrie des fonds islamiques. Restaurer la confiance des investisseurs dans ces produits constitue donc une priorité pour les gérants, qui doivent se concentrer sur l’amélioration de la qualité de leurs services, apporter des changements en termes de structures de coût et davantage de transparence en matière de risque et de rémunération, et renouveler leur approche commerciale.
Le Luxembourg a sa carte à jouer dans ce développement, la place ayant vocation à devenir un hub européen pour les fonds islamiques. Dès à présent, on y compte 35 fonds pour un montant de 580 millions de dollars sous gestion, davantage que l’Irlande (23 fonds pour 230 millions). Mais la très grande majorité des fonds reste domiciliée dans le monde arabo-musulman.