Il y a de quoi faire avec les derniers travaux du peintre philippin Manuel Ocampo qui sont montrés à la galerie Nosbaum [&] Reding. On peut y passer plusieurs heures, en prenant le temps de pénétrer l’univers de chaque toile. On peut aussi s’immerger dans ce bain de couleurs fortes le temps d’un aperçu, saisir au vol le message grinçant et teinté d’humour de l’artiste et repartir, riche de ce coup d’œil foisonnant d’influences variées. Car chaque tableau semble faire partie d’une œuvre unique qui court sur plusieurs années et qui est conçue selon une manière dont Manuel Ocampo, aussi inventif soit-il, ne souhaite visiblement pas se départir.
De la petite quinzaine d’œuvres parmi les plus récentes de l’artiste qui sont présentées là, certaines ont même été achevées au Luxembourg, tout spécialement pour cette exposition, comme l’atteste l’odeur de vernis qui accueille le visiteur. Très probablement les cinq petits formats à la facture plus bâclée – frôlant même l’abstraction – qui n’est pas coutumière à cet artiste : la série Poor Man’s Schnabel, 2010. Dans le titre de cette série et parmi les titres à rallonge que Manuel Ocampo affectionne tant et dont il a affublé toutes ses toiles, trois artistes américains sont cités, Barnett Newman (1905-1970) qui s’est surtout illustré dans l’expressionnisme abstrait, Julian Schnabel (1951), qui, entre autre, est l’un de ceux qui ont prôné le néo-expressionisme dans la peinture américaine au début des années 1980. Et Elvis, the one and only. On retrouve bien là la richesse des sources d’inspiration de Manuel Ocampo qui puise à tour de bras dans les expériences qui font sa vie, qu’elles soient artistiques ou culturelles, « nobles » ou populaires. De retour dans son pays d’origine où il vit et travaille aujourd’hui, l’artiste a étudié et vécu longtemps aux États-Unis dont la culture l’inspire visiblement toujours beaucoup.
Mais en deçà de ce qu’il a acquis au cours de sa vie d’adulte (Ocampo a 45 ans) et certainement de ce qu’il acquerra encore, le fondement qui caractérise sa manière est toujours présent, véritable substrat indéracinable. « Encouragé très jeune par des prêtres à produire pour les églises et les marchands occidentaux des peintures faussement authentiques et anciennes, inspirées de l’imagerie populaire de l’époque coloniale espagnole, Manuel Ocampo n’a jamais véritablement quitté ce registre, » écrivait en 2004 Evelyne Jouanno, dans un texte paru lors de l’exposition de Gaston Damag [&] Manuel Ocampo, qui montrait pour la première fois ses travaux à Luxembourg. Cette appréciation est toujours valable aujourd’hui, et les crucifix, les autels, les calices, les ossements et les crânes font toujours partie de son répertoire de sujets récurrents, au gré de compositions emportées et animées. C’est une démarche qui n’est pas sans rappeler celle des « muralistes » mexicains qui dans la première moitié du XXe siècle créaient sur les murs de grandes fresques colorées puisant dans les thèmes et les techniques populaires mexicaines.
Revenant régulièrement dans la même galerie luxembourgeoise, Manuel Ocampo est un artiste dont on peut facilement suivre l’évolution – ou la non évolution. Ainsi, cette dernière édition propose encore des toiles manifestes, où la couleur puissante joue un rôle aussi important que le gros trait de pinceau qu’il manie d’une main assurée laissant peu de place aux repentirs. Ses personnages sortent tout droit d’une imagination gavée à l’iconographie religieuse baroque et populaire si typique de l’Amérique du Sud, on l’a vu, mais aussi très probablement du monde de la bande dessinée, où la démarche caricaturale contribue à faire passer le message plus rapidement sans qu’il y ait forcément de préoccupation de respect des perspectives et des plans. L’artiste se cite beaucoup, mais revisite aussi en puisant parfois même dans l’histoire de l’art. Il donne par exemple sa propre version d’une nature morte, proche dans sa composition d’un Van Gogh (et très ironiquement intitulée The Curse of Identity Aesthetics as A Career Move, 2009). Mais un Van Gogh à la Ocampo. Avec coulures, trait agité (beaucoup moins « ordonné » que Van Gogh ) et toujours cette impression de spontanéité qui le caractérise à chaque nouvelle exposition. Mais on l’a bien compris, c’est de fausse naïveté qu’il s’agit.