Jouant du jeu de mots psychanalytiques, on pourrait transformer le titre de cet article en « leçons d’hier », à tel point le travail de l’artiste taiwanaise Hong-Kai Wang est lié pour une grande partie à l’industrie lourde, laquelle, tel un mammouth, est quasi en voie de disparition chez nous.
Pourtant, Hong-Kai Wang, qui vit et travaille à New York mais qui est née dans une famille d’ouvriers dans l’industrie sucrière à Yunlin en 1971, est la première a avoir été choisie pour la résidence d’artiste project room@aquarium lancée l’année dernière. Hong-Kai Wang a donc passé les six dernières semaines dans des entreprises luxembourgeoises ou étrangères basées au Luxembourg, car elle est non seulement artiste, mais également diplômée en sciences politiques. On comprend donc que ce recueil sociologique n’aie pu que séduire le jury dans un pays dont la richesse plonge ses racines dans l’industrie de la sidérurgie.
Ces sons-là – Hong-Kai Wang a tendu son micro dans les usines Arcelor-Mittal de Differdange et Dommeldange, seront sans doute les plus familiers aux visiteurs, du moins ceux qui ont passé la cinquantaine. Ils se souviendront en effet de quelque visite scolaire et du bruit assourdissant qui régnait dans les grandes halles de production. Cette « madeleine de Proust » sonore n’est bien sûr accompagnée d’aucune odeur olfactive mais dans l’exposition – l’aquarium du Casino est vide –, on se rendra compte aussi à quel point le cerveau est lui aussi une machine-rie complexe : car à l’évocation de Panelux, montera sans doute aux narines du visiteur l’odeur de la pâte qui lève et des pains sortant du four quand celle du métal brûlé quand on le scie est plus désagréable…
La visite des sites de Chaux de Contern, Delphi, Husky et autre Peifer Sogéquip n’était bien sûr pas un parcours romantique pour Hong-Kai Wang qui, à travers ses prises de sons, a voulu interroger la condition ouvrière. Aussi peut-on entendre des voix mêlées au bruit des machines dont l’homme, depuis l’industrialisation est, on le sait, le serviteur sinon l’esclave. D’ailleurs le titre de l’installation, Music while you work, renvoie à une émission de la BBC qui, vers le milieu du siècle passé, diffusait de la musique entraînante pour accroître la productivité des ouvriers britanniques. Ce rappel résonne de manière étrange à l’ère de l’informatique, association que ne pourront s’empêcher de faire les visiteurs les plus attentifs en voyant posé par terre l’ordinateur, cette petite machine immatérielle, avec lequel Hong-Kai Wang a réalisé son montage et qui gère de manière virtuelle les haut-parleurs diffuseurs de sons…
L’exposition a par ailleurs les défauts ou les manques de ses qualités : elle paraît presque incongrue quand le niveau sonore d’une moto pétaradante qui passe, couvre ceux de l’installation. Hong-Kai Wang aurait-elle oublié que l’industrie d’aujourd’hui (tout du moins en Occident et a fortiori à Luxembourg) est citadine et bancaire ? Peut-être aurait-il suffi d’enregistrer le niveau sonore du boulevard Royal pour dresser le tableau du Moloch qui mange les enfants d’aujourd’hui…