Un jour, le sculpteur allemand Stephan Balkenhol, auteur d’un portrait de bois sculpté du Grand-Duc Jean exposé dans l’entrée du Mudam a déclaré : « Mes sculptures ne révèlent aucune histoire. Il y a un secret en elles, mais je ne vous dirais pas quel est ce secret, c’est au spectateur de le trouver ». En effet, la première exposition personnelle existentielle d’oeuvres inédites que lui consacre Alex Reding aujourd’hui à Luxembourg est des plus mystérieuses, intrigue et pousse le spectateur à trouver des liens avec sa propre existence, renvoyant sans cesse à sa propre image, son identification et sa ressemblance, à percevoir l’art et à se regarder finalement dans un miroir de bois. Une sculpture de l’ordinaire, où l’humain est présenté tel quel. Une sculpture qui renferme pourtant un grand secret.
Les représentations figuratives d’hommes et de femmes sculptées avec une attention artisanale et un savoir-faire remarquables dans des morceaux de bois, souvent à partir d’un bloc de bois d’un seul tenant, sont posées sur des socles qui les élèvent légèrement à hauteur du regard. Elles forment des mises en scène spatiales de l’expression de l’individu dans son environnement, souvent seul, solitaire, calme, passif, dans des poses simples, avec une expression nostalgique, de lassitude désabusée, d’ennui, une tristesse profonde, un véritable questionnement expressif et post-romantique sur l’état d’être. Un homme commun et ordinaire qui fait penser à l’artiste lui-même, portant une chemise blanche et un pantalon noir, les mains dans les poches, est régulièrement représenté dans ses expositions et accueille ici le visiteur de la galerie, juché sur un socle accroché à un mur comme un haut-relief contemporain en bois. « Chacun a dans son armoire une chemise blanche et un pantalon noir ».
Souvent, les corps des personnages de Balkenhol, ont des têtes énormes, comme il en exposait à la Kunsthalle de Baden Baden lors d’une grande rétrospective qui lui était consacrée en 2006. Une de ces têtes sobrement appelée Kopf est posée sur un trépied en bois, le cou comme un tronc, faisant office de socle. Balkenhol cultive une certaine monumentalité dans des sculptures de plusieurs mètres de haut, reliées à des thèmes mythologiques, références culturelles et histoires narratives munies de têtes d’animaux comme Elefantman, « les animaux nous aident à faire des projections. Comme lorsqu’on dit que le lion est fier et paresseux », laissant volontairement transparaître imperfections, fissures et nœuds provoqués par les coups d’entailles. Les sculptures et reliefs sont ensuite peints d’aplats de couleurs.
Mais il y a aussi une certaine fragilité, une finesse et un entre-deux, comme si Balkenhol avait trouvé le juste milieu de l’expressivité sculpturale dans les proportions standards de ses personnages à mi-chemin égarés dans la forêt, face au Pont Rouge de la capitale luxembourgeoise reliant le centre-ville et le Plateau du Kirchberg, sous un beau ciel bleu. Ou encore placés devant des reliefs aux compostions de couleurs psychédéliques et vives, devenant des installations, figures aux habits de camouflages militaires, sur des socles rectangulaires minimalistes aux angles modernistes de bois choisi pour sa simplicité et sa légèreté qui « démonumentalisent » la figure statufiée, n’ayant pas de valeur artistique et se faisant l’antithèse de la sculpture classique généralement excessivement élevée sur des piédestaux massifs et grandiloquents.
La présence de l’architecture est courante dans ses œuvres et est un moyen de représenter le mouvement, mais aussi de faire le pont entre peinture, sculpture et architecture dans son art. Dans certaines de ses œuvres, la solitude statique laisse place à de couples dansants, sur différents socles, créant une situation mouvementée, comme dans Tanzendes Paar. « La solitude est une réalité de l’homme, qui l’habite de sa naissance jusqu’à sa mort. Les psychologues disent que pour être à deux, il faut être seul. En tant qu’artiste, j’ai besoin d’être seul pour travailler, mais des fois je me sens seul car quelqu’un me manque. C’est bien d’être seul si l’on sait qu’il y a quelqu’un d’autre quelque part ».
Stephan Balkenhol est né en 1957 à Fritzlar et a étudié à l’Académie des Beaux Arts de Hambourg. Sa sculpture réaliste s’éloigne de la sculpture contemporaine et sa technique est souvent rattachée aux sculpteurs du Moyen Âge et de la Renaissance nordique, mais aussi à une forme d’art folklorique typique de l’Europe de l’Est.