Et si la frustration était le véritable thème de l’exposition Ceci n’est pas un Casino, actuellement au Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain ? Alors l’objectif serait atteint. Car on a beau voir et revoir l’exposition, lire et écouter les curateurs Jo Kox et Kevin Muhlen ou les artistes participant à cette manifestation organisée pour le quinzième anniversaire du Casino en tant que lieu d’art contemporain, très attendue parce que annoncée comme la première exposition conçue par le nouveau directeur artistique Kevin Muhlen depuis qu’il a pris la succession d’Enrico Lunghi il y a un an, rien n’y fait, on reste sur sa faim.
L’idée du sujet vient de Jo Kox, qui fut un des premiers à bord du navire Casino dès 1994, en vue de la première année culturelle. Et il aime à raconter ces anecdotes de touristes débarquant à l’entrée de l’ancien casino bourgeois et s’enquérant des possibilités de se lancer dans une folle journée de jeux de hasard. La plupart du temps, regarder une exposition d’art contemporain au lieu de jouer à la roulette ou au poker n’est pas une alternative pour eux. Ceci n’est pas un Casino se veut donc une réponse littérale et un brin ironique à une réalité (presque) quotidienne – avec, ohlàlà, quelle audace !, forcément une référence lourdement revendiquée au Ceci n’est pas une pipe de Magritte. On cherchera donc un double sens à tout cela, de la finesse, de la subversion – et on ressort ...frustré en effet.
Car Ceci n’est pas un Casino est une interprétation trop littérale du propos : Le jeu, qui peut être du sport – le joueur de football aveugle d’Annika Larsson, le terrain de basket vandalisé de Marc Bijl, le panier de basket disproportionné de Letizia Romanini, les balles de tennis de Laurent Perbos, le cactus qui fait du hula-hoop de Robert Barta, le trampoline impraticable de Patrick Bérubé, la table de billard sur laquelle semblent pousser des montagnes de Stéphane Thidet ou les centaines de cibles de fléchettes installées par Jacob Dahlgren comme une œuvre op art participative dans le grand hall –, jeu vidéo ou de chance (Hermine Bourgadier, Antoinette J. Citizen et Courtney Coombs, Walter Langelaar...) est surtout considéré sous un aspect formel, esthétique, mais guère idéologique.
L’argent par exemple, les gains plus ou moins légaux dans les casinos, semble inexistant. Il n’y a que l’artiste luxembourgeois Paul Kirps qui y fait directement référence avec sa nouvelle pièce Terminal, produite pour cette exposition : son distributeur bancaire réduit à sa forme et ses couleurs est aussi inutilisable que son flipper High Score montré dans la salle d’à côté (et qu’il avait déjà exposé lors de la dernière édition du prix d’art Robert Schuman). Ses objets, emblématiques de la société de consommation et du divertissement, sont réduits à leur valeur iconique.
Certes, il y a des œuvres touchantes ou fascinantes, comme notamment la vidéo d’un joueur de football aveugle par Annika Larsson (Untitled [Blind 1], 2009/2010), pour la maîtrise qu’a cet homme de son corps et du ballon, l’auto-tamponneuse si délicieusement absurde et inutile de Pierre Ardouvin (Love me tender, 2001) ainsi que la « sculpture interactive » vide de sens d’Olaf Val (Verstärker, 2001), d’autres fascinantes comme les visages crispés des joueurs de Street Fighter ou l’attente des turfistes scrutant les résultats des courses photographiés par Hermine Bourgadier. Et la présentation d’une nouvelle génération d’artistes qui avaient peu ou prou exposé sous Enrico Lunghi est bienvenue aussi.
Mais dans son l’ensemble, dans son message ou son analyse, l’exposition est trop légère, trop ludique, trop prévisible ou trop premier degré. En 2007, la Rotonde 2 s’était ouverte avec l’exposition Roundabout, qui présentait les œuvres des jeunes artistes luxembourgeois regroupés sur le thème du jeu, dont la portée générale permettait de faire le grand écart. Le Casino, institution culturelle d’envergure au moins nationale, n’apporte rien de plus au débat, ni réflexion sur les jeux de hasard, les gains faciles, les spéculateurs en bourse, le « capitalisme casino » qui vient d’ébranler le monde occidental dans ses fondements. Sage comme une image, et rien de plus qu’une image, le Casino déçoit avec cette exposition qu’on ne va pas considérer comme programmatique. Mais comme une exposition estivale, légère, dans la veine des Un bel été ou de celles consacrées à la lumière sous Enrico Lunghi, qu’on oublie aussi vite qu’on l’a visitée.