« J’ai un peu phagocyté ce projet de loi », explique la ministre de la Culture Sam Tanson (Déi Gréng) à la tribune de la Chambre des députés ce mardi, après plus de deux heures de débats sur le projet de loi n° 7532 « relatif à la mise en place d’un régime d’aides en faveur des petites et moyennes entreprises en difficulté financière temporaire ». Le texte, initialement déposé avant le lockdown, le 12 mars, a été amendé par le gouvernement le jour de la déclaration de l’état de crise, le 18. Le ministère de la Culture a profité de l’occasion pour y glisser l’amendement 7, avec lequel est proposé de modifier la loi sur le statut de l’artiste de 2014. Tous les partis, sans exception, ont salué l’initiative, se disant conscients que les artistes sont parmi les plus vulnérables, d’abord frappés par les restrictions des représentations publiques, puis carrément l’interdiction de leurs activités. Expositions, spectacles ou concerts étant annulés, ils n’ont tout simplement plus aucun moyen de gagner de l’argent.
La modification des conditions à remplir et, surtout, des montants que peuvent toucher les artistes est limitée à « une période où a lieu un événement exceptionnel reconnu par le Gouvernement (...) comme ayant un impact nuisible sur [c]es activités ». Les artistes indépendants, qui travaillent seuls, soit les artistes plasticiens, les musiciens ou les auteurs par exemple, peuvent ainsi voir doublées les sommes qu’ils touchent : si jusqu’ici, la loi leur permettait de recevoir des aides jusqu’à hauteur de la moitié d’un salaire social minimum (SSM) par mois, ils peuvent, durant le temps que dure la crise, toucher un SSM entier pour travailleur qualifié, soit 2 570,39 euros par mois – au même titre que les travailleurs en chômage partiel ont été adaptés à cent pour cent du SSM. Pour donner un ordre de grandeur : en 2019, le ministère avait versé des bourses à 79 artistes indépendants, pour un montant global de quelque 767 000 euros. Sur base de ce nombre, il y en aurait pour 200 000 euros par mois. Selon Jo Kox, premier conseiller du ministère, il y a beaucoup de nouvelles demandes du statut, et d’autres qui voudraient être réactivés.
La deuxième catégorie de travailleurs culturels est celle des intermittents du spectacle, soit les acteurs, techniciens et autres professionnels qui offrent leurs services temporairement à des producteurs de contenus, que ce soit dans le cinéma ou le spectacle vivant. En 2019, ils étaient 189 à avoir ce statut. Pour eux, il est important que les jours d’inactivité involontaire ne soient pas comptés comme telle. Ici, le ministère ajoute jusqu’à vingt indemnités journalières par mois d’inactivité involontaire. Autrement dit : il comptabilise ces jours comme s’ils avaient travaillé. L’année dernière, 268 de telles aides avaient été attribuées via le Fonds social culturel, pour un montant global de 2,3 millions d’euros. L’essentiel de toutes ces mesures étant, comme c’était l’idée lors de l’introduction des mécanismes du statut d’artiste par Erna Hennicot-Schoepges (CSV) en 1999, d’assurer que les artistes vivotant souvent à la lisière du risque de pauvreté, ne tombent pas à travers les mailles du filet social – surtout s’ils n’ont aucun autre moyen pour gagner quelques sous.
Le plus étonnant lors du débat parlementaire de mardi était non seulement que le texte soit adopté à l’unanimité, avec la promesse que « personne ne sera laissé sous la pluie ». Mais surtout à quel point la peur de l’abus, qui avait pourtant présidé aux deux précédents débats (de 1999 et 2014) sur la protection sociale des artistes, avait soudain complètement disparu. Le comble étant qu’Octavie Modert (CSV), qui, en tant que ministre de la Culture, avait déposé en 2013, un projet de réforme qui demanda aux artistes de prouver une augmentation annuelle de leurs revenus de dix pour cent – projet descendu en flammes par les chambres et milieux professionnels et amendé par Maggy Nagel (DP) – se montre soudain magnanime et demande des conditions d’accès au statut plus généreuses dans une motion, qui sera discutée en commission parlementaire.
En réalité, comme beaucoup d’autres professions aussi, les artistes rechignent à demander l’aumône. « Beaucoup d’entre eux préfèrent une aide financière pour un projet à toucher une indemnité », expliqua la ministre au Parlement. Ce que confirme Jo Kox : le ministère aussi bien que le Focuna, qu’il préside, attribue en ce moment généreusement et rapidement bourses et subsides, entre autres pour des projets liés au confinement (une douzaine en trois séances jusqu’ici).