On dira que plus un texte est rare, plus il est précieux, signifiant. Ce qui ferait que tout au long du livre de photographies d’Armand Quetsch, Dystopian circles/ fragments…all along, paru chez Peperoni Books, on serait pris d’une part par l’envoûtante musique de Noir Désir, d’autre part, et surtout, par les paroles de Brigitte Fontaine et de Bernard Cantat. Et pourtant, si le texte d’Europe figure sur toute une page, plus ou moins à l’entrée du livre, il est là en tant que présence typographique aussi, et comme antithèse en quelque sorte à la photographie, à sa droite, du pur classicisme, les ruines d’un temple, des colonnes corinthiennes, dans un paysage qui semble à l’abandon, et autour un cadre noir, juste éclairci en haut par ce qui ressemble à des vagues de couleur.
Le ton est ainsi donné. Plus saisissant encore si l’on prend les premières paroles du texte : « les sangliers sont lâchés/ je répète : les sangliers sont lâchés… » Ce qui a l’air d’un message secret, dont on ne sait trop s’il concerne un danger imminent (et l’on se rappelle d’autres animaux, dans une chanson de Reggiani, des loups qui entrent dans Paris) ou carrément d’un appel à la résistance. Les dangers, multiples, incessants, existent, on les a en tête, plus besoin de texte par la suite, l’exploration européenne qu’a menée Armand Quetsch peut se poursuivre, purement photographique. Il y a là également quelque chose de secret qui saisit quand on tourne les pages du livre. Un livre où les couleurs sont rares, elles aussi, elles sont en plus estompées la plupart du temps, la richesse, elle, est dans la nuance, un velouté, comme on dirait d’une étoffe.
Armand Quetsch ne nous donne donc pas d’indication sur les étapes de sa pérégrination, pas de légende ; dans un commentaire, nous apprenons seulement qu’il était prévu d’aller de Bruxelles à Lampedusa, quelques étapes sont mentionnées. Ce qui permet de reconnaître tels lieux, où je n’en retiendrai que deux, pour leur valeur symbolique, et les deux fois, ils ont partie liée avec l’art : on a, à Salzbourg, dans le quartier résidentiel d’Aigen, la maison de Cornelius Gurlitt, vous savez, le collectionneur germano-autrichien mis en relation avec des spoliations sous le Troisième Reich, et plus à l’est, à Sarajevo, un musée, et toujours, c’est portes closes. On reçoit en pleine figure l’histoire de notre continent, passé, présent, pas besoin de longues explications.
Des paysages, à de nombreuses pages, des habitations, Armand Quetsch fait découvrir du pays. C’est vrai, mais peut-être que son exploration européenne s’avère en premier une exploration des moyens et des effets photographiques. Une leçon pour nous, une occasion de se rendre compte comment la photographie, comment l’image fonctionne qu’elle donne du réel. Et comment au fil des pages, arrangées dans une grande et belle diversité, avec du blanc qui vient comme pour mieux laisser de la place, ou pousser à la réflexion, se construit un récit. À un moment où il est beaucoup question de récit, voire de roman, et réduit alors à une dimension nationale, dans la considération ou l’enseignement de l’histoire, le livre d’Armand Quetsch, en ce sens, donne une autre leçon, par le doute, le questionnement qui ne manque pas de s’élever. Une sorte d’antidote. Ce qui n’empêche pas une aura mélancolique, il se peut qu’elle soit d’autant plus revigorante.
Sur l’une des toutes premières photographies du livre, nous un appareil photographique surdimensionné. À y regarder de près, nous sommes à Rimini, c’est un monument appelé Fellinia, en hommage au réalisateur, au-delà à la photographie sur papier, type en voie de disparition ; à l’origine, c’était un vrai studio dont le logo reste visible. Le livre d’Armand Quetsch perpétue une photographie qui fait appel aux sens comme à l’esprit ; à découvrir, après la publication, à partir du 4 mars prochain au CNA, à Dudelange.