Xavier Bettel (DP) réussira-t-il à sortir indemne de « l’affaire Lunghi » ? Alors qu’on s’attendait à un début de mea culpa, ou du moins à une ébauche d’excuse de sa part pour avoir condamné un peu vite le directeur du Mudam, au lendemain de la diffusion, par RTL Télé Lëtzebuerg, de ce qui s’avéra être un grossier montage d’un prétendue agression d’une journaliste de l’émission Den Nol op de Kapp par Enrico Lunghi, lundi devant les commissions parlementaires jointes de la Culture et des Médias, il n’en fut rien. Il reprendrait la même décision, a au contraire annoncé le Premier ministre et ministre de la Culture et des Médias, repassant la patate chaude au commissaire à la discipline dans la fonction publique. Pourtant, à ce moment-là, il avait déjà connaissance du rapport préliminaire dudit commissaire, un rapport qui, visiblement, est en faveur d’Enrico Lunghi. Ou, du moins, « pas en sa défaveur » d’après des sources proches du dossier, signalant notamment les nombreuses zones grises et inconséquences dans l’accusation de la reporter de RTL. Bien qu’ils aient par le passé souvent été rapides à dégainer en matière de politique culturelle, les députés les plus versés en la matière, à savoir Franz Fayot du LSAP et Claude Adam des Verts, se sont alignés sur la logique de politique politicienne : un parti de la majorité n’attaque pas un des leurs. Et surtout pas le Premier ministre.
L’affaire Lunghi est donc effectivement en train de devenir une « affaire Berwick » ou une « affaire RTL » (voir d’Land 48/16) : Lundi, la chaîne luxembourgeoise a annoncé que son émission emblématique Den Nol op de Kapp, qui vient de fêter ses vingt ans, incriminée dans cette affaire pour son montage douteux, allait être remplacée par une autre émission. L’Alia (Autorité luxembourgeoise indépendante de l’audiovisuel) s’est autosaisie du dossier et a lancé une enquête sur le respect du cahier des charges par RTL. Ce mardi 6, le Conseil de presse en discutera et le lendemain, le 7 décembre, le conseil d’administration de la CLT-Ufa, qui chapeaute les programmes luxembourgeois et dans lequel siègent des représentants des grands partis politiques, se consacrera également à ce reportage. Sachant qu’en parallèle, le gouvernement négocie le nouveau contrat de concession avec RTL Group, cet aspect de la politique médiatique ne manque effectivement pas de potentiel explosif.
Mais il ne doit en aucun cas faire oublier le fiasco que constitue l’ingérence hâtive de Xavier Bettel dans ce qui aurait pu rester une affaire interne au Mudam. En condamnant prématurément Enrico Lunghi, il a forcé la main au conseil d’administration, livré Lunghi à un lynchage public et, au final, mené le Mudam au bord du gouffre. Car toute l’Europe culturelle (et jusqu’au Canada) est perplexe de voir qu’un directeur respecté partout ailleurs qu’au Luxembourg puisse être traîné ainsi dans la boue. Dans l’absolu, la précipitation de Xavier Bettel est aussi une profession de foi : il se situait immédiatement du côté de la vox populi et de la meute populiste. Et on se dit que sous sa responsabilité, la très contestée Lady Rosa de Sanja Ivekovic aurait été enlevée dans l’heure qui suivit les premières protestations.
C’est le constat le plus attristant pour tous ceux qui espéraient qu’une majorité de centre-gauche, sans le CSV, allait renouer avec la politique culturelle progressiste de Robert Krieps (LSAP). Ils doivent constater aujourd’hui qu’une politicienne conservatrice comme Erna Hennicot-Schoepges (CSV) était résolument plus en faveur d’une culture libre et de haut niveau que Xavier Bettel. C’est surtout le LSAP, tellement intéressé à reprendre le portefeuille en 2013, qui doit souffrir en voyant le parcours tragique du DP à la culture : annulation de l’exposition sur la Première Guerre mondiale, annulation de toutes les conventions et déclarations malencontreuses de Maggy Nagel, puis changement de mandataire(s) ...et l’affaire Lunghi. Xavier Bettel, pourtant, porte un amour sincère aux arts plastiques, surtout amateurs et décoratifs, et essaie de se montrer le plus possible à des vernissages, séances académiques et autres événements mondains dans le domaine de la culture. Mais jusqu’ici, on retiendra surtout ses initiatives de repli identitaire – la future Galerie d’art luxembourgeois –, une restructuration difficile du ministère et des efforts maladroits de démocratisation du débat culturel (les Assises culturelles).
Xavier Bettel sait être populaire, toute sa carrière politique est basée sur une approche très directe et proche du peuple – ses campagnes électorales faites de distribution de pop-corn d’abord, de bisous ensuite restent dans toutes les mémoires. En contrepartie, il culmine dans les baromètres de popularité. Il déteste les élites intellectuelles, leur préfèrant celles du capital. Et soudain, vouloir se débarrasser d’Enrico Lunghi a l’air d’un plan dans une politique culturelle qui cultive désormais cet axe populaire dans lequel est valorisé une Affordable art fair plutôt que des expositions internationales de haut vol. Mais, et ce sont les directeurs de Frac français qui l’ont souligné dans leur lettre de soutien : Enrico Lunghi a fait mille fois plus pour la professionnalisation et l’export des artistes luxembourgeois en les plaçant dans les collections d’autres musées et centres d’art que ne le fera jamais une exposition dans une ambassade qu’aucun professionnel de l’art, ni critiques, ni curateurs, ne prend au sérieux. En ne soutenant pas Enrico Lunghi, en ne le protégeant pas, Xavier Bettel a clairement choisi son approche culturelle : nos artistes dans les ambassades. Et au diable les intellos !