Il y a des signes qui ne trompent pas. Une femme les ressent, forcément, quand le couple se délite. Par exemple, le jour où son Georges, un bon gars s’il en est, cuisina un couscous pour le déjeuner familial de Noël, Nicole aurait dû commencer à se douter de quelque chose. Mais elle est infirmière, Nicole, et visiblement, elle s’inquiète uniquement un peu pour la santé de son homme, qui dit avoir la tête qui tourne, puis part seule manger chez sa mère. Pourtant, elle aurait mieux fait de le garder un peu à l’œil, son Georges. Parce que soudain, lui, le contrôleur de train réglo, le gardien de but du FC CFL, le musicien fidèle de la fanfare municipale de Bonnevoie, se sent comme enfermé dans sa vie si banale.C’est que Georges a rencontré sa Shéhérazade. Sans blague ! Un jour, en contrôlant les billets des passagers sur le trajet Thionville-Luxembourg, il tombe sur Yamina, une jeune Algérienne assez banale mais très nerveuse, puis la revoit le lendemain et le jour suivant; un soir, elle dort devant le garage des trains, un jour, elle est sérieusement blessée au visage, visiblement, elle a été tabassée. Elle est apeurée, Yamina, craint le moindre geste de Georges. C’est alors que not’ bon gars lui offre de l’aide, d’abord en soignant ses blessures, puis en l’abritant dans sa cabane de jardin. Peu à peu, la bonté de Georges devient de l’amitié, puis forcément de l’amour. Yamina serait, selon ses histoires à elle, étudiante en médecine à Nancy, originaire de Tabelbala à la lisière du Sahara en Algérie, mais serait aujourd’hui poursuivie par de dangereux « terroristes » qui auraient déjà tué ses parents en Algérie. D’où sa panique et son besoin de protection. Yamina raconte cette enfance heureuse près du désert, avec ses palmeraies et ses oasis, le soleil et les villageois – et elle fait rêver Georges, qui, bien qu’il ait parcouru une distance de dix fois le tour du monde en train, n’est jamais vraiment sorti de son pays (à part quelques vacances banales). Très vite, elle incarne son désir d’exotisme et d’évasion. Lorsque, alors même qu’ils sont en train de devenir proches, le premier baiser a déjà été échangé, Yamina disparaît, elle devient une obsession pour Georges, qui ira à sa recherche, de Marseille jusqu’à Tabalbala. Mais plus il descend dans le Sud, plus il croit se rapprocher d’elle, plus elle devient mystérieuse : ses connaissances la décrivent comme une mythomane originaire de la banlieue parisienne qui n’aurait jamais vu l’Algérie, sa famille brouille les pistes…Nuits d’Arabie – Une histoire d’amour entre Bonnevoie et Tabalbala, le nouveau long-métrage de Paul Kieffer, la première fiction que l’ancien journaliste, directeur de la radio socioculturelle, enseignant de cinéma et metteur en scène de théâtre ait réalisée tout seul, débutant dans le genre à cinquante ans, est un mélodrame et se revendique tel. Kieffer, grand cinéphile devant dieu, a comme projet de faire une série de films de genre, adaptant les codes, clichés et contraintes du genre respectif au contexte luxembourgeois. Nuits d’Arabie est en fait le troisième film de la série, mais les deux premiers, le policier et le film noir, n’ont jamais abouti. Le mélodrame par contre a gagné le concours du scénario du Filmfund et a pu poursuivre, grâce à l’engagement de Samsa Film, son chemin et aboutir au film, qui sort en salles aujourd’hui.Le synopsis du mélodrame est simple : un homme rencontre une femme, de préférence fatale, ils se tournent autour, et au moment même où on croit qu’ils vont filer le parfait amour, elle disparaît, il part à sa recherche, mais il ne peut y avoir de happy end. Dans les interviews, Paul Kieffer se réfère aux très grands classiques du genre, ce qui semble un rien prétentieux. Mais il est évident qu’un cinéphile comme lui ne fait pas une seule image innocente mais sème les indices et les hommages, qui partent ici un peu dans tous les sens. Ainsi, le réalisateur joue lui-même un petit rôle dans le film, comme Hitchcock ; Yamina perd une chaussure dans la boue, que Georges ramasse, comme Cendrillon ; la caméra à l’épaule suit Georges de très près dans son contexte luxembourgeois, pour un réalisme à la frères Dardenne ; la musique de Jeannot Sanavia est très inspirée de Michael Nyman ; la scène des fuyants après l’accident de bus est proche de l’esthétique de Bill Viola… Et le spectateur ne pourra s’empêcher de penser à Lawrence of Arabia (David Lean, 1962) ou The English Patient (Anthony Minghella, 1996), enfin, tout ce que l’imaginaire collectif transporte comme images du monde arabe et du désert.Depuis 9/11, tous les intellectuels plus ou moins de gauche semblent découvrir le monde arabe et prennent la défense des musulmans comme s’il fallait prouver qu’ils ne sont pas tous terroristes. La mode est arrivée au Luxembourg depuis quelque temps – outre Nuits d’Arabie, on pense par exemple à Jean-Michel Treinen, qui a entrepris la gigantesque tâche de traduire le Coran en luxembourgeois. Au fur et à mesure que Georges s’approche de Tabelbala, il perd tous ses repères, y compris sa personnalité (on lui confisque sa carte d’identité), jusqu’à la langue : là-bas, il ne comprend plus rien, on ne lui parle plus qu’en arabe (non sous-titré pendant de longues séquences, qui semblent longues, très longues au spectateur). Très attendu pour la remise du Filmpräis dans deux semaines, Nuits d’Arabie a plusieurs grandes qualités. D’abord celle des images : tournées en numérique et en décors naturels par Jean-Louis Sonzogni, elles sont tout simplement époustouflantes. On n’aura jamais vu Bonnevoie de cet angle-là, aussi majestueux et beau ; la lumière dans le désert, les couleurs du sable et du ciel sont à vous couper le souffle. Le jeu des deux acteurs principaux ensuite : Sabrina Ouazani, découverte dans L’esquive (Abdellatif Kechiche, 2004) a une fraîcheur naturelle très touchante, même si cette Shéhérazade en baskets est loin de ressembler à une femme fatale. Et Jules Werner campe un Georges tout en non-dits, avec beaucoup de retenue, qui crève l’écran dans les moments où il est embarrassé, sous tension et plus si sûr de lui. Il n’est pas l’amoureux transi du mélodrame classique, mais plutôt le mec banal qui, un jour, parce qu’il commence à se douter qu’il doit y avoir autre chose au-delà de Bettembourg, plaque tout pour partir à sa conquête du monde. La description du milieu social dans lequel Georges évolue, la toute petite bourgeoisie, est souvent touchante et bien observée.Or, malgré toutes ces qualités, il y a quelque chose qui cloche dans Nuits d’Arabie, quelque chose de fondamental : le scénario, pourtant co-écrit avec Philippe Blasband, pêche par manque de clarté. En fait, c’est un scénario typique de « premier film », où le réalisateur a voulu mettre toutes les idées qu’il a eues depuis que le désir de faire des films a germé en lui. Alors il y a des personnages secondaires qui en disent trop ou pas assez – le père en chaise roulante, la copine qui le soigne –, sans véritable consistance. Puis les dialogues, déjà si rares, sont trop convenus pour qu’on s’y accroche. Au final, on regrette que Paul Kieffer, dont on a pu apprécier l’humour grinçant et les idées de mise en scène au théâtre, n’ait pas commencé sa série par une comédie. Le mélodrame est souvent trop lourd. Et, franchement, la fin du film est vraiment impossible.
josée hansen
Catégories: Films made in Luxembourg
Édition: 15.11.2007