Parmi d’autres plaisirs, l’été est synonyme de festivals musicaux en tous genres et de concerts à répétition. S’entasser dans la fournaise, un gobelet en plastique plein de mousse tiède à la main, ne peut vraiment prétendre au titre de dixième cercle de l’enfer que lorsqu’un grand gaillard de 2 mètres 20, coiffé d’une casquette négligemment posée au-dessus de son occiput, vous aura empêché de voir autre chose que sa nuque et son dos. Certes, l’arrière des T-shirts de rock est souvent rempli d’inscriptions, sans doute pour cette raison, mais 144 euros c’est un peu cher pour une expérience consistant à admirer des omoplates, sentir les aisselles de ses voisins, et seulement écouter Robbie Williams.
Avec des places qui frôlent ou dépassent les cent euros, on n’est plus vraiment à quelques billets près et l’on constate ainsi depuis quelques années l’essor de la pratique consistant à demander au public de débourser un peu plus, afin de disposer du privilège de ne pas compter sur les smartphones tenus à bout de bras par les rangs de devant pour apercevoir la scène. Mais si le tarif « early access » garantit une place dans les premiers rangs, tout le monde ne souhaite pas être si proche du cœur du réacteur, les oreilles à moins de dix mètres d’enceintes conçues pour être entendues de l’autre côté d’un terrain de football, au milieu de fans déchaînés. Le pire, c’est que cette solution vous met à une distance de la buvette qui ne se compte pas en mètres, mais en pieds écrasés, en « sorry / pardon / entschuldigung », et en coups d’épaules qui sont autant de risques de tester les vertus rafraichissantes de la boisson par aspersion sur l’ensemble du corps plutôt que par ingestion dans l’œsophage...
De toute façon, et de manière assez contre intuitive, l’expérience montre que ce n’est pas en se rapprochant de la scène, mais plutôt en s’en éloignant, et en laissant quelques mètres vides devant soi, que la visibilité s’améliore. Jusqu’à une certaine limite, bien sûr, l’arrière du camion Luxburger ou le vestiaire de l’Atelier n’étant pas le spot idéal pour profiter d’un solo de guitare. En évoquant l’Atelier, justement, comment ne pas avoir une pensée pleine de gratitude pour cette salle dont la passerelle métallique a sauvé de nombreuses personnes qui ne souhaitaient pas porter des semelles compensées de douze centimètres pour voir un concert ! Il n’est pas question de s’attendre à assister à un concert de rock dans les conditions de confort du grand auditorium de la Philharmonie, certes, mais simplement de réunir les conditions pour passer un moment agréable.
Dans ma jeunesse, il n’était pas rare de croiser des descendants de vikings, voire de dieux vikings, dans le public des métalleux. Mais aujourd’hui ce sont tous les genres musicaux qui sont désormais touchés, alors que je n’ai pas l’impression d’avoir particulièrement rétréci. Que font tous ces sosies de Dwayne Johnson, Michael Phelps et Victor Wembanyama dans le public de la grande région ? Après les générations X, Y et Z, on a droit à la catégorie XXL. Voici une bonne raison de plus pour soutenir les « veggie Mondays » dans les cantines du pays : arrêter de donner de la viande aux enfants ! Autre solution : il faut généraliser la règle du « les petits devant, les grands derrière », qui guide le placement dans les photos des classes et des équipes de sport. Elle devrait s’appliquer tant que le public n’aura pas adopté l’autre possibilité, heureusement prisée par une majorité des adeptes de certains concerts en plein-air, organisés sur un terrain couvert d’herbe et non sur un parking en asphalte : s’asseoir sur une couverture étalée par terre. Avantage non négligeable, cela permet d’apporter une glacière pleine de victuailles. En combinant ainsi les plaisirs de la culture avec ceux de la gastronomie et de la convivialité, on s’assure ainsi d’une égalité parfaite entre petits et grands : tout le monde regarde son assiette et ses amis, et ne prête plus qu’une attention toute relative à ce qui se passe sur scène...