« La forme d’une ville change plus vite, hélas, que le cœur des mortels », déplorait Baudelaire, le poète de la modernité. Celles et ceux qui résident dans une même ville depuis longtemps ont le privilège d’en devenir les historiens attentifs. Ainsi Metz passait encore il y a une quinzaine d’années pour être une belle endormie. La longue tradition militaire dont héritait cette ville de garnison ne l’aidait pas à redorer son blason ; tout comme la valorisation principale de son patrimoine franco-allemand lui conférait une image rigide, figée dans un autre temps. Un immobilisme qui traduisait en fait une crise démocratique, puisque Metz n’avait connu aucune alternance politique depuis plus… d’un siècle et demi. C’était l’époque, pas si lointaine que ça, des indéboulonnables mandarins aux règnes longs. Jean-Marie Rausch resta 35 années à la mairie de Metz, jusqu’en 2008, année où Dominique Gros le battait et devenait le premier maire socialiste de Metz depuis l’instauration du suffrage universel masculin en 1848 !
La municipalité de gauche allait bénéficier de toutes les initiatives précédemment engagées, et non des moindres : l’aménagement d’une ligne TGV en 2007, rapprochant considérablement Metz de Paris, ou l’inauguration en 2010 du Centre Pompidou-Metz par Nicolas Sarkozy. Jusque-là modeste musée à ciel ouvert, voilà Metz propulsée à grand train sur la carte européenne de l’art contemporain. Tous ces grands travaux émergeaient paradoxalement en marge de l’hypercentre, dans le quartier de la gare, dit aussi « impérial » car celui-ci fut construit durant l’annexion allemande. Occupé il y a peu par des antiquaires (il en reste encore deux en activité), le quartier de la gare est aujourd’hui l’épicentre d’un renouveau à la fois culturel, commercial et urbanistique. De part et d’autre de la gare coexistent patrimoine et modernité, style impérial et constructions plus audacieuses tournées vers le 21e siècle : un centre commercial et des logements suspendus sont sortis de terre et voisinent le Centre Pompidou-Metz. Y figure même le dernier projet d’hôtel de luxe conçu par Philippe Starck, la Maison Heler, un building de verre coiffé d’une demeure inspirée de la villa Salomon située avenue Foch. De quoi exciter le touriste.
De l’autre côté de la voie ferrée, moins de grandiloquence et de frénésie. Mais un nouvel art de vivre réunissant un public jeune et familial sous les arcades de la rue Gambetta, laquelle hébergeait il y a encore quelques années l’un des derniers cinémas porno du coin. À côté de la traditionnelle brasserie des Arts et métiers, de nouvelles façons de se restaurer ont fait leur apparition dans le respect des saisons et des producteurs de la région. Tous ont en commun de proposer, dans des décors inventifs et cosy, des mets de qualité et gourmands à des prix accessibles. Le premier auquel on doit ce renouveau est un coffee shop indépendant, le Fox, fondé il y a cinq ans par deux jeunes trentenaires, Florian et Alexis. Dans un cadre vintage de brocante, on y déguste, tous les jours de la semaine, des cafés et des pâtisseries, mais aussi des bagels originaux au déjeuner. Fort de ce succès, les deux compères viennent d’ouvrir dans la même rue, le Zine, un bar industriel niché dans l’ancien atelier d’un vitrailliste où l’on trouve une formule café et pancake pour… un petit euro.
Dans cet élan, d’autres initiatives ont fleuri. Ainsi des Jardins suspendus, qui, outre ses kombuchas délicieux à siroter en terrasse, met en appétit avec ses burgers vegan ou son ramen au curry, tout comme Ô Petit Japon renouvelle la cuisine japonaise au contact d’accords français. Dernière devanture ayant trouvé refuge rue Gambetta : Tête d’affiche, une boutique unique dans la région basée sur l’illustration et l’encadrement. Sa gérante, Elvine Marsch, qui a rejoint Metz après sept années passées à Shanghai, ne cache pas son enthousiasme devant cette vitalité retrouvée : « Metz est une ville d’histoire, qui regorge de symboles mythiques tels que le Graoully, la magnifique cathédrale Saint-Etienne, le poétique Temple neuf, la plus belle gare de France… C’est naturellement qu’elle attire les artistes locaux pour leurs créations. Si les Messins sont convaincus que leur ville est un trésor, aujourd’hui ils clament haut et fort qu’elle est pleinement tournée vers l’avenir. » À côté des créations des Luxembourgeoises Lisa Junius et Ana Gamann, on y découvre des posters affirmant avec fierté le fait d’appartenir à la capitale mosellane. Metz is the Future, peut-on lire sur l’un d’eux qui arbore, en visuel, le Temple neuf ou la porte japonaise qui domine le port de plaisance de la ville.