Son nom sera certainement sur la short-list pour le Filmpräis 2009 : Jacques Molitor sera dans la sélection des courts-métrages avec deux œuvres : En compagnie de la poussière (2008 ; Frakas, B [&] Paul Thiltges Distribution, L ; voir d’Land du 1er août 2008) et Bonobo (Frakas [&] La Fabrique d’images, L), qui a été présenté au public en juin dernier et vient d’être acheté par France 2. À 29 ans, il est encore un très jeune cinéaste, trois courts-métrages à son actif, dont le très brouillon Gemini, réalisé en film de fin d’études à l’IAD (Institut des arts de diffusion à Liège). Ayant choisi de travailler en Belgique à ses débuts, il vient néanmoins de se réinstaller au Luxembourg.
« Jacques Molitor is surprised that plenty of people apparently have a clear opinion about what kind of films he’s supposed to make ! ? » écrivait-il le 17 août sur son profil Facebook. Des doutes évidents, car, comme nombre de ses pairs (voir d’Land 34/09 du 21 août), Jacques Molitor est en train d’écrire le scripte pour son premier long-métrage Gualleschlass, un film sur les jeunes, sur leur sentiment d’être enfermés dans une cage dorée au Luxembourg. « Cela se situera quelque part entre Larry Clark et Donnie Darko, » abrège-t-il pour décrire les ambiances et les histoires qu’il développe en ce moment. Avec un grand soin attaché à la narration et aux personnages, dans une approche très semblable au « film choral ».
Ce qui définit l’univers de Jacques Molitor, ce qui fait que ses films se démarquent du reste de la production autochtone, c’est son côté sensuel, charnel, son approche naturelle et lyrique à la fois du corps, qu’il soit féminin ou masculin, tout juste postpubère ou grabataire, et de son rapport à d’autres corps – sexualité, tendresse, violence ou mort (les dissections sont récurrentes dans ses films). Une explication possible pourrait résider dans son parcours : ayant entamé des études de médecine, il ne s’est tourné vers le film que plus tard, lorsqu’il s’est rendu à l’évidence que cinéaste, c’est bien un métier.
Peut-être que ses scénarios ont quelque chose à voir avec la dissection eux aussi : les trois films traitent de relations amoureuses impossibles – frères jumeaux, meilleurs amis aux ambiguïtés sexuelles, un homme et une femme, tout banalement – que Jacques Molitor analyse, explique et paraphrase par ses images. Or, là où En compagnie de la poussière était extrêmement prometteur, aussi bien par son histoire aux multiples ramifications que par ses images poétiques (un ange en moto), valant au film d’être sélectionné à une trentaine de festivals à travers le monde, Bonobo déçoit par la simplicité de son scénario et la banalité de l’histoire : un homme qui se fait plaquer par sa copine, rencontre une autre femme et se venge sur elle par ricochet. Le métier du personnage principal, monteur de cinéma, permet au réalisateur non seulement d’expérimenter l’utilisation d’autres types d’images, comme des vidéos (soi-disant) privées à gros grain et fortes rayures, mais aussi d’établir des parallèles, souvent un peu lourdes, entre les comportements des singes bonobos, sur lesquels il est en train de monter un documentaire, et les humains (comme « l’acte sexuel est un mode de résolution de conflits »). Les métaphores animales sont toujours idéologiquement assez douteuses.
Le réalisateur est forcément déçu de l’accueil public et critique réservé qui a été fait à Bonobo, peut-être parce que En compagnie de la poussière a été éblouissant. En fait, le scénario de Bonobo avait été écrit bien avant celui de En compagnie..., ce qui explique qu’on sente clairement que le troisième film était en fait moins abouti que le deuxième, comme si l’évolution naturelle de son style avait été inversée. En outre, on remarquera également que ses trois films sont quasiment muets, les dialogues sont réduits à la portion congrue – caractéristique qu’il partage avec certains de ses pairs, notamment avec Max Jacoby – la musique (composée par Daniel Balthasar) participe au même titre que les images à la création d’une ambiance contemplative.
Il n’est dès lors pas étonnant que Jacques Molitor cite, en cinéastes préférés, des gens aux univers individuels très forts et pour lesquels la narration joue un grand rôle, avec un penchant pour la transgression (sexuelle, sociale...) : d’Ingmar Bergman ou Rainer Werner Fassbinder en passant par Pedro Almodóvar et Ken Loach à David Fincher. Avec toutes ces références, les pistes prometteuses ébauchées dans ses trois courts-métrages, l’aide de Frédéric Zeimet comme superviseur du scripte et le pitch de Gualleschlass (qui sera produit par Lucil Films), toutes les conditions semblent réunies pour donner les meilleures chances à ce premier long-métrage de Jacques Molitor.