À la recherche d’une comédie intelligente afin de remplacer Le Mec de la tombe d’à côté que le Tol n’a pu avoir faute d’une exclusivité française, le choix de Jérôme Varanfrain est tombé sur Love de Murray Schisgall, un auteur new-yorkais que l’on peut connaître pour avoir été le co-scénariste de Tootsie (1982), film lui ayant valu une nomination aux Oscars pour le meilleur scénario.
Sa pièce Love date de 1965. Après avoir été un succès à Broadway, à Londres et à Paris, elle arrive au Luxembourg 47 ans plus tard. Le triangle amoureux dans lequel l’auteur nous plonge est bel et bien du vaudeville, rehaussé d’une touche d’absurde que l’on connaît d’Ionesco, et assaisonné d’un sarcasme à la Gogol. Schisgall a été nominé avec cette œuvre aux Tony Awards en 1965 pour le meilleur auteur d’une pièce et la meilleure pièce, ce qui lui a valu une notoriété indéniable à l’époque. Le texte en soi est bien huilé, les mécanismes de récit aux ficelles apparentes renforcent l’effet de comédie et les spectateurs du Tol rient autant de la gestuelle caricaturale du comédien Franck Sasonoff que des égos surdimensionnés des trois personnages.
Milt et Ellen sont mariés depuis vingt ans. Sur un pont new-yorkais, Milt rencontre Harry, un ami de l’université, surnommé Dostoïevski, qui est au bord du gouffre. Dans son incapacité d’aimer quelqu’un, de rentrer dans le cadre d’une vie normale dont Milt est le nom, Harry, un clochard en pleine crise existentielle, veut se jeter du pont. Milt le sauve et lui offre la main de son épouse pour pouvoir s’envoler avec sa nouvelle flamme Linda.
Cette histoire, vieux comme le temps, a le mérite de fonctionner à toute époque. Son caractère universel n’est pourtant pas le garant d’une réussite à tous les coups. Si tout un chacun peut se reconnaître dans le comportement de Milt, d’Ellen et de Harry, un billet d’entrée à vingt euros pour aller voir du théâtre de boulevard au décor minimaliste est un peu exagéré. Dénué d’un intérêt contemporain, cette pièce semble avoir mal. On regrette de ne pas avoir pu découvrir la trame de Le Mec de la tombe d’à côté, qui entrecroise les destins d’une femme citadine et bourgeoise et d’un paysan campagnard, qui aurait eu plus d’impact au Luxembourg. Car faire lire sur scène à Colette Kieffer les Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes ne va guère au-delà du symbole qui à servi aux fabricants du spectacle pour étudier le sujet de leur pièce.
Aujourd’hui, le destin de Harry aurait mérité d’être pris sous la loupe. Ce personnage, dans son incapacité de s’accoutumer aux compromis que la plupart des gens font dans la vie de tous les jours, demeure dans cette pièce une poupée soumise à la nécessité dramaturgique de la comédie. A la fois le personnage le plus sincère et le plus inadapté, il interpelle par son angoisse existentielle, son refus catégorique du fonctionnement hypocrite de la société, et préfère la mort au compromis. Une situation initiale intéressante pour un personnage qui devient trop vite au cours du récit un pion de Milt qui l’utilise à ses fins, pour finir par être décrit comme un être imbu de lui-même, incapable de prendre ses responsabilités dans le couple qu’il forme avec Ellen, dont il est un peu trop facilement tombé amoureux au départ, les ressorts de la comédie obligent. Au moment où ce dernier se voit d’autant plus poussé dans le rôle de l’homosexuel latent par Ellen, qui l’incite à avouer son amour pour Milt, un des spectateurs du Tol quitte son siège et fait le choix conscient de refuser la vision du monde qu’on lui propose. Mais la pièce met toujours d’accord les mémés du dernier rang, qui ricanent et gloussent devant le spectacle. Pourvu que ça dure – pour l’économie du Tol.