Le 21 septembre, quel choc pour Paul Schock ! Il se souviendra de cette journée fatidique comme d’une césure dans sa vie, dans celle du journal qui l’emploie surtout. Il se souvient du courriel matinal convoquant toutes les équipes de Saint-Paul Luxembourg à une réunion importante, de leur quête fiévreuse de ce qu’on pouvait bien leur annoncer. « Nous nous sommes dit, en rigolant, que peut-être on allait nous annoncer que le journal était en faillite ». Et Pol Schock d’enlever sa longue crinière des yeux, comme il le fera tout au long de l’entretien. La faillite qu’on leur annoncera, d’abord par la bouche du directeur de Saint-Paul, Paul Peckels, puis par celle du président du conseil d’administration Luc Frieden (CSV), n’était pas économique mais idéologique. Pol Schock était un des rares de plusieurs centaines d’employés réunis à la hâte cet après-midi-là à oser prendre la parole, après que Luc Frieden eut raconté son histoire du pendule qui avait viré trop à gauche au Wort, et qu’il allait faire un retour à droite, « mais il faudra l’arrêter au centre-droite ». Pol Schock demanda : « Si j’ai bien compris vos propos, nous ferions mieux, à l’avenir, de contrôler encore une fois nos articles après les avoir écrits, pour savoir s’ils sont assez de centre-droite ? » Luc Frieden l’aurait assez mal pris, perdant toujours aussi vite la contenance que quand il était jeune ministre, racontent des témoins de la scène.
Nous avons rendez-vous un lundi matin au café Interview – espresso et café noir. Pol Schock est arrivé à vélo, mais ses chaussures en cuir classiques sont impeccablement cirées – on se demande toujours comment il fait. Col roulé gris, coupe champignon à la Beatles. Pol Schock est jeune surtout, il va avoir
31 ans, cet âge où on y croit encore en tant que journaliste, où on espère que peut-être, en y mettant toute sa passion et toute sa rigueur, on va pouvoir changer le monde avec ses textes. Pour le meilleur bien sûr. Enfin, au moins un tout petit peu.
« La césure du 21 septembre était un sacré coup », dit Schock encore aujourd’hui, presque deux mois plus tard. Parce que ce jour-là, la direction du journal s’est séparée de son rédacteur en chef Jean-Lou Siweck après seulement quatre ans. C’est que Siweck, journaliste passionné qui connaît son Citizen Kane par cœur, avait développé un projet « révolutionnaire » pour le Wort : il voulait qu’il devienne, après 160 ans, avant tout un journal professionnel, qui ait une approche objective vis-à-vis de tous les partis, y compris le CSV (dont le journal fut historiquement la « presse amie »). Pol Schock a postulé au Wort après une première expérience au mensuel Forum, à cause de ce projet : « Nous avons cru en cette vision de Jean-Lou Siweck, qui voulait aussi diversifier les formes de narration. » Siweck recrute de nombreux jeunes ambitieux et sérieux, comme Diego Velazquez, premier correspondant permanent à Bruxelles, ou
Laurent Schmit. « C’était un excellent signe que le Wort attirait désormais des profils de ce type », se souvient Jean-Lou Siweck. Il les envoie en formation dans des écoles de journalisme, encourage un ton original et – tous le remercièrent pour cela lors de son départ, aussi publiquement – les protégeait des prises d’influences en tous genres venues de l’extérieur.
Bien qu’il fut, dans sa jeunesse, guitariste dans des groupes de rock, dans Elephant Ghost et (avec
Diego Velazquez) dans Jay’s Pub (« this rather unique alt rock/folk/classical/whatever band » écrivait Disagreement), Pol Schock n’a rien d’un révolutionnaire radical de gauche. Au contraire, bien au contraire : « Je peux tout à fait vivre avec l’idée que le Wort représente une voix conservatrice au Luxembourg », concède-t-il (et rejoint en cela aussi Jean-Lou Siweck), « mais ici, il s’agit de contenu journalistique, et sur ce plan-là, nous devons être indépendants, nous ne pouvons nous faire dicter nos articles de l’extérieur ou de l’étage du dessus ». Il sait que le plus dur est devant lui : les élections législatives qui s’annoncent, les partis qui sont en train de devenir fous pour le moindre point de pour cent dans un sondage et pour le moindre centimètre de photo de la concurrence en Une des journaux, le CSV qui veut revenir au pouvoir coûte que coûte.
Pol Schock est venu au Wort par le biais de la culture, où il a d’abord rejoint l’équipe de Marie-Laure
Rolland et a tout de suite provoqué un (mini) scandale avec un portrait aussi impertinent que provocateur de Serge Tonnar. Son « toc-toc-me-voilà ! » fut un succès, il était tout de suite sur tous les radars. Enfin, il l’était déjà un peu avec sa « Chronik eines politischen Wechsels », sur le changement politique de 2013, publiée en mars 2014 dans Forum et qui commence par « 4.2.2004 : Facebook geht online » avant toute chose. Puis il y eut, cet été, un remarquable entretien avec le Premier ministre Xavier
Bettel (DP) dans sa fonction de ministre de la Culture, dans laquelle il le désarçonna avec la banale question « quels artistes luxembourgeois connaissez-vous ? ».
Le talent et le courage de Schock ont donc attiré l’attention du rédacteur en chef Siweck, qui lui propose, en août de cette année, de rejoindre le rédaction politique. « An offer I couldn’t refuse » se dit Schock, en période préélectorale prolongée. « La question est moins pourquoi l’avoir transféré au ressort politique en 2017 que pourquoi ne pas l’avoir fait dès 2015 », rétorque Siweck à la question du pourquoi de ce transfert. Et de continuer : « Mon ambition était alors d’avoir des journalistes certes spécialisés mais néanmoins versatiles. Il était clair que Pol Schock allait être bon en politique, au risque de ne plus jamais en sortir. Je préférais alors le faire passer par un autre ressort, aussi pour prendre ses marques dans la maison, afin de pouvoir rejoindre plus tard la politique avec la routine et l’assurance nécessaires pour pouvoir faire son propre truc ».
Sous ses airs timides, Schock, historien de formation (en Allemagne) a cette indépendance d’esprit qui le fait regarder derrière les coulisses : celles du CSV Stad par exemple, dont il a démasqué la duplicité dans un article post-élection qui a fait sensation. « En fait, je crois qu’il n’y a pas de grande différence entre des études en sciences humaines et le journalisme, à cette différence fondamentale près que le journaliste doit protéger ses sources, alors que l’historien doit les montrer ». Et il s’enlève la mèche des yeux en souriant. Non, le journalisme n’est pas mort.