Sahasa, comme tout bon spectacle jeune public, commence par « l’impatience », celle d’un immense groupe d’enfants, constituant in fine, une salle quasi comble face aux trois artistes qui tiennent ce spectacle. Lynn Jung, Sven Fielitz et Isaiah Wilson collaborent avec Jill Crovisier pour revisiter leurs disciplines urbaines et les embrigader dans le champ de la danse contemporaine. Complétée par la musique de Damiano Picci, la scénographie de Philip Van Ees et la création lumière de Nico Tremblay et Noah Fohl, la formulation scénique de Sahasa s’en trouve plein de malice, de surprise et de rythme, pour un succès public total.
Noir, puis, lumière en poursuite sur Lynn Jung, inspiration, expiration, et salto, sans élan, vlan… Le public a le souffle coupé et lance un « hoooo » unanime. Sahasa s’engage sur cette entrée de choix. Monté à la force de la géniale association des disciplines artistico-sportives que sont le parkour, le football freestyle, et le hip-hop, dans les codes de la danse contemporaine, Sahasa exulte de cette alchimie esthétique forgée par le talent des trois athlètes en scène. Car oui, la force de ce dernier spectacle en signature Jill Crovisier vient clairement des impressionnantes compétences physiques des trois interprètes.
Lynn Jung est freerunner professionnelle. Reconnue pour être l’une des principales athlètes féminines de la scène du parkour, Lynn fait partie de la team londonienne Storm Freerun, une référence en la matière. Elle « parcoure » le monde pour exulter dans sa discipline et rafler quelques jolies récompenses pour ses performances sportives hors normes. Modèle pour de nombreux jeunes, dans son spectacle, Jill Crovisier fait de son talent une ressource chorégraphique inépuisable.
Sven Fielitz, lui est footballeur freestyle et réalisateur. Il est Champion luxembourgeois du Red Bull Street Style en 2019, outre sa participation à plusieurs compétitions internationales, Fielitz a également pris part à plusieurs collaborations artistiques et de nombreux projets pédagogiques. Magicien du ballon rond, il poursuit également une carrière de vidéaste que souvent il couple avec sa passion première. Avec Sahasa il montre bien l’amplitude artistique de sa discipline.
Isaiah Wilson est danseur professionnel. D’abord attiré par les danses urbaines, il se forme à la danse classique et à la danse jazz pour être finalement diplômé en danse contemporaine à la Codarts University of the Arts de Rotterdam. Interprète pour de nombreux chorégraphes, il profite également d’un espace pour s’attarder à la création vidéo-graphique et musicale. Déjà complice de Jill Crovisier pour sa production JINJEON, en toute logique le voilà s’exprimer dans Sahasa avec beaucoup de virtuosité.
Ainsi guidés par Jill Crovisier, – chorégraphe adoubée à l’international, qu’on ne présente plus tant elle est une fierté nationale –, le trio d’interprètes aux aptitudes si différentes se montre d’une complicité extraordinaire. Voilà un moment que le spectacle tourne, et cela semble avoir renforcé des liens forts, fondations à des ponts entre pratiques sportives et artistiques. Là s’associent deux univers corporels caractérisés par des techniques assez codifiées. Dans ce sens, Crovisier plonge dans une recherche esthétique pouvant lier ces codes, avec pour toile de fond l’idée d’un spectacle jeune public, donc, ludique, joyeux, tendre et rebondissant. Sous ce prisme, de nouvelles conceptions chorégraphiques apparaissent. Des lignes qu’on ne connaissait pas à la chorégraphe, qui pourtant, ancre toujours au plateau la sculpturalité des corps, mais là, s’abandonne à un parfait exemple du couple « maîtrise et liberté ». Naturellement, comme son nom l’indique, Sahasa devient une ode à l’audace, au courage, à la bravoure. Autant de qualité récompensée en salle par la surprise mis en onomatopée, et dans de glorieux moments d’applaudissements spontanés, gage du succès de cette pièce.
Déjà en 2016, Jill Crovisier avait bousculé les jeunes spectateurs avec Matka, un spectacle entre danse et cirque, mêlant les thématiques du voyage, de l’amitié et de la croissance. Sahasa retourne à ce désir chorégraphique d’associer des formes d’expressions physiques d’un autre genre, pour multiplier les strates esthétiques, et les niveaux de lecture, d’une histoire dansée qui, pour sûr, va stimuler beaucoup de jeunes dans leur parcours de vie. Ainsi, en faisant appel à « l’impressionnant », et en usant d’un sens du spectaculaire sans pareil, Sahasa est tout bonnement un exemple de spectacle jeune public.