On savait Saint-Nazaire, ville aux Mélusines des mers, propice à la féérie, là où l’ambiance portuaire amène des images de grands films d’art et d’essai, au bord d’un océan qui ne se calme jamais. On connaissait moins, cependant, la ville de Saint-Nazaire mère d’artistes de haut vol tel.le.s que ceux du Collectif à l’Envers avec comme figure de proue les compositeurs et saxophonistes Ronan Le Gouriérec et Gweltaz Hervé, deux noms bien bretons au passage… tiens, tiens… De cet ouest français lointain, les Rotondes font ainsi venir cette étonnante troupe, porteuse de Sopryton ? Complètement Barano !, un ouvrage collectif opéré dans une « bulle sonore et visuelle », qui ne manque pas de percussions et de virtuosité. Aucun des enfants présents ce jour ne dira le contraire, les Rotondes s’affichent définitivement comme un haut lieu du spectacle jeune public de la région transfrontalière.
Il y a comme toujours avant un « jeune public », ce ballet d’enfants. L’énergie enfantine y est palpable, et l’impatience sans pareil, on se croirait entourés de groupies, devant la scène de la Rockhal, deux heures avant que Lomepal ne vienne chanter… Quelle pression pour les artistes en scène. Quel public que celui de l’enfant face à un spectacle… Lui à qui rien n’échappe. Lui qui fait preuve d’une finesse immense dans son regard de spectateur, justement. Aujourd’hui, « le spectateur de demain », comme on l’appelait jadis n’a pas besoin d’explication pour entrer dans son spectacle. Lui est tout entier transporté par les émotions et l’imaginaire que le spectacle lui renvoie. Lui est le meilleur des spectateurs et le pire à la fois, car si l’on s’inquiète qu’il ne comprenne pas ce que l’adulte veut qu’il comprenne, il faut s’assurer qu’il comprend ce que le geste artistique offre, et ce, à sa manière, face à sa sensibilité, ses humeurs, très souvent exacerbées. Voilà pourquoi devant Sopryton ? Complètement Barano, certains gosses pleurent, quand d’autres rient. Voilà pourquoi, à l’introduction, quand les deux saxophonistes font « parler » leur instrument, certains enfants se fascinent quand d’autres ont peur, ont la bougeotte, ou commentent à voix haute… Aucun, en tout cas, n’est bouche cousue… Rien de tout cela ne laisse les marmots insensibles. Et puis, il s’agit d’entretenir l’attention du jeune spectateur, celle-ci est fragile et peut s’évanouir en un instant, et le Collectif à l’Envers l’a bien compris, jouant concrètement avec ses gradins en bi-frontal de manière constante, pour ne jamais que le public perde le fil, ou se perde dans son propre fil de pensées… C’est en cela que ce spectateur et cette spectatrice, non de demain, mais bien de maintenant, est un regard très exigent, car virulent de questionnement, de « pourquoi » en quantité.
Pour le Collectif à l’Envers tout se sera bien passé. Dès les premiers sons et jeux « de pieds », le spectacle prend. Les enfants rient, crient, échappent des larmes, se réfugient dans les bras des acompagnateur.rice.s. Ronan Le Gouriérec et Gweltaz Hervé jouent de leur talent d’artistes de scène, pour coupler leur élégance musicale à une chasse aux dessins, ceux de Philippe Chasseloup, qui signe aussi, en toute logique, la mise en scène. Là, au centre, nos deux saxophonistes vagabondent sur un tapis de vidéo-projection où s’animent des images décors mouvants et ressorts dramaturgiques par lesquelles l’histoire est rythmée. Le duo au plateau s’infiltre dans la narration par leur musique saxophonée pour dompter la vidéo-projection. Le jeune spectateur en a pour ses yeux et ses oreilles tant l’action est omniprésente, du sol au plafond, dans une ambiance multisensorielle, ressentie quasiment à 360°. Et, de fait, en face de nous une rangée de gamin.e.s fait aussi le spectacle, ces visages d’enfants qui se transforment de minute en minute, d’acte en acte délivrés par les talentueux et coquins musiciens, constituent un autre niveau de spectaculaire, tout cela au bon grès de la balade musicale et visuelle que nous délivrent les artistes. En scène, la magie se met en place avec une facilité déconcertante, aucun des artistes présents ne semble forcer son talent, tout comme les régies présentes, tenues par Sébastien Bouclé (scénographie, vidéo, lumière) et Manu Le Duigou (création sonore) qui avec douceur amènent la multiplicité des niveaux artistiques qui s’invitent à la scène.
On parle bien d’un spectacle pluridisciplinaire, couplant concrètement musiques, images, sons et distillant en filigrane une littérature musicale fantasmagorique, une poésie visuelle drôle et lunaire, et enfin, une théâtralité puissante ouverte aux mondes intérieurs de l’enfant comme de l’adulte. Sopryton ? Complètement Barano est un émerveillement, un spectacle qui ôte à l’adulte sa tête de blasé, celle qu’il porte d’habitude au théâtre, « ce truc d’intello », et qui permet au môme de laisser tout sortir, d’évacuer les émotions qui le traverse, pour exulter au dehors, telle cette énergie bénéfique au spectacle vivant.