Produite par le Escher Theater, la pièce Deux petites dames vers le Nord (2008) de Pierre Notte – auteur associé du Théâtre du Rond-Point à Paris et artiste aux multiples casquettes (romancier, metteur en scène, comédien, compositeur…) – vient d’être montée à l’Ariston, pour la première fois au Luxembourg. Dans une mise en scène du jeune François Camus – récemment vu comme comédien au TNL dans La Peste de Camus/Hoffmann – le spectacle entraîne joyeusement le public dans les petites et grandes choses de la vie, graves ou légères, tristes ou risibles. Sur un rythme soutenu (malgré quelques longueurs), avec des échos filmiques bienvenus, la pièce, aux accents vaudevillesques, est attachante.
Deux petites dames vers le Nord est une réflexion sur la mort et sur le deuil, sur les relations fraternelles et familiales, une ode à la vie et aux retrouvailles à travers les chemins, balisés ou imprévus, du quotidien. Si le texte est un peu bavard, les dialogues fusent comme des balles de ping-pong, tendres ou grossiers, pimentés, voire déjantés. Les jeux de mots s’enchaînent et les petites dames se répondent du tac au tac.
Au centre de la pièce, il y a deux sœurs qui ne se ressemblent guère ni physiquement, ni par leur caractère – « Tu m’en veux, je t’envie », dit la cadette, elle qui a toujours osé, à sa grande sœur jusque-là plus réservée – mais se retrouvent pour une incroyable virée. Sur le plateau, Valérie Bodson et Valérie Geoffrion (qu’on avait déjà vues ensemble au Escher Theater en 2019, dans Le Courage) les incarnent. Justes et convaincantes, elles donnent vie à un duo féminin haut en couleurs, aux mimiques très marquées, drôle, gaillard, parfois tendre et nostalgique. Les sœurs ne cessent de se chamailler, règlent leurs comptes à coups de jurons, retrouvent les jeux de l’enfance comme dans ce bar où elles déroulent les noms des hommes de la vie de maman, chavirent comme ce « petit navire » qu’elles chantent en chœur…
Les comédiennes jouent souvent face au public (une bonne idée de mise en scène), l’impliquant dans leurs déambulations, le prenant à témoins, l’entraînant dans des chansonnettes d’un autre temps (un peu trop présentes !). Elles embarquent pour un rocambolesque road-movie qui leur fera vivre mille péripéties alors qu’elles viennent de perdre leur mère… âgée de 97 ans, ce qui permet de se faire une idée de l’âge des deux petites dames. Emportant dans leur cabas les cendres de la défunte, elles mettent le cap vers le Nord, destination Amiens, à la recherche de la tombe du père, Raymond, « le seul homme de la vie de maman », qui les a quittées 25 ans plus tôt, histoire de lui annoncer la mort de maman et, in fine, de les réunir.
Du voyage en train à l’improbable périple en autobus, en passant par l’hôpital, le crématorium, les cimetières et leur brouillard, le bar et ses frites au parmesan, le dancing-karaoké (une scène un peu longuette) ou le commissariat, les tableaux s’enchaînent à vive allure, ponctués par d’efficaces jeux de lumières et bruitages. Les notes musicales qui servent de transition amènent le spectacle sur les terres du cinéma, aux rives du burlesque et d’une certaine nostalgie. Une belle et minimaliste scénographie (avec quelques objets-structures bien caractérisés comme cette urne géante qui se fera train ou car), signée Trixi Weis, donne du relief à ce voyage qui a pour horizon la mer et à cette traversée géographique et temporelle qui mène vers le passé, l’enfance, les souvenirs, les dits et les non-dits.
Tout commence dans le noir, dans une « salle de théâtre » où les deux petites dames, bien installées dans deux fauteuils rouge, assistent à une pièce d’Harold Pinter ! « On part », dit la cadette, à quoi l’autre répond : « on reste ». Le ton est donné… Tout va partir en vrille !
Deux petites dames vers le Nord, un spectacle où rires et émotions sont au rendez-vous pour dire un pressant besoin de vivre et de se retrouver.