Portrait

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Jil Devresse lors d’une répétition de Blackbird  en 2022  au Centaure
Foto: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land vom 14.04.2023

Jeune prodige du théâtre Grand-Ducal, visage juvénile de la quête de Capitani, détermination incarnée dans Blackbird de David Harrower, mis en scène par Myriam Muller au Centaure, Jil Devresse a 25 ans, un bel âge qui renforce sa confortable place dans l’émergence théâtrale luxembourgeoise. Sortie il y a un peu plus de deux ans d’une formation de comédienne à l’Institut Européen du Théâtre de Berlin, elle est depuis assidument présente au théâtre, au cinéma ou encore à la télévision.

Rêve de gosse Née au Luxembourg, d’une mère allemande et d’un père belge, elle grandit dans un foyer bilingue, un facteur qu’elle a toujours considéré comme un atout pour sa carrière. L’environnement artistique insufflé par ses parents l’a très tôt encouragé sur une voie créative. Petite, elle développe une certaine fascination pour les histoires et leurs personnages. « On lisait des contes, on chantait quasi tous les soirs avant de dormir et ces histoires éveillaient mon imagination et ont fait surgir des images dans ma tête ».
Ses premières expériences avec le théâtre, elle les fait à l’école, alors qu’un de ses professeurs invite une amie comédienne et réalisatrice à donner un atelier. Jil Devresse entre ensuite au Lycée Ermesinde, moins conventionnel que beaucoup d’autres lycées au Luxembourg, où dès la première année, elle s’inscrit aux cours de théâtre. Laissant le reste des activités sur le carreau pour le bien de sa formation théâtrale, elle finit par jouer quelques rôles dans les créations de ses professeurs.

« Je pense que, comme un peu tous les gosses, je rêvais d’aller sur scène. Mais je voulais être chanteuse plutôt qu’actrice ». Sans que ce soit vraiment un rêve qu’elle mentionne ouvertement, elle aime simplement jouer la comédie, « je forçais mon frère à créer des spectacles avec moi où on dansait et on chantait devant mes parents ». La scène la stimule, et en même temps, elle rêve de jouer dans un film, de se retrouver sur un plateau de cinéma, « je n’ai jamais pris ce rêve au sérieux, je n’ai jamais pensé que j’allais vraiment être actrice, ce n’était pas du tout mon plan ou ma détermination.

J’ai eu d’autres idées ». Elle s’imagine hôtesse de l’air pour voyager, policière, pour assurer la sécurité et la justice, ou encore ouvrir un orphelinat pour s’occuper des enfants abandonnés. « Je voulais même devenir astronaute, ou plutôt aller sur la lune. Mon père me disait qu’un jour on ira sur la lune ensemble et que je serai la première femme sur la lune ». La liste des pronostiques pour son futur s’allonge jusqu’à ce que germe chez elle une forme de confusion, et puis, la caméra s’impose, comme l’un de ses souvenirs de gosse, « mes parents et grands-parents nous filmaient beaucoup. Il existe une vidéo de moi, assise sur une balançoire, à cinq ans, où je répète inlassablement ‘Film mich film mich film mich’, jusqu’à ce que la caméra se dirige vers moi. Il y avait déjà une certaine attraction… »

Comédienne en devenir Encouragée par ses parents, amis et profs de théâtre, elle se décide à s’installer sérieusement dans ce monde. « J’ai écouté mon entourage et en 2017 je me suis retrouvée à Berlin, au ETI – Europäisches Theaterinstitut.
Sans autre plan pour sa vie, elle estime aujourd’hui que c’est « le meilleur choix que j’aurai pu faire ». Cette formation lui fait véritablement découvrir le théâtre, de plonger plus profondément dans ce domaine. « J’ai découvert les possibilités infinies qu’offre le théâtre. Mes années d’études à Berlin ont clairement renforcé ma passion ».

Usant des outils à sa disposition, son corps, sa voix, son imagination et sa créativité, elle suit donc cette formation de manière intensive, un travail sur elle-même qui durera près de quatre ans, vécu comme une expérience de développement personnel. « C’est un processus artistique qui apprend à s’exprimer et à communiquer, à observer les gens et essayer de les comprendre, à casser les normes et les idées de la société sur la façon dont tout doit être et à retrouver l’enfant en soi, sa créativité et son imagination et surtout à représenter la vie, les relations interpersonnelles et à raconter des histoires ».

Ainsi, elle vit un épanouissement personnel total sans que cela soit facile, poussé à ses limites, « j’ai beaucoup travaillé, beaucoup appris, rencontré des gens merveilleux ».

À tout juste vingt ans, un peu par hasard, elle tient son premier rôle au cinéma en incarnant Sasha dans And Then You, signé Kim Schneider. D’une heureuse coïncidence, Jil Devresse passe le casting avec son compagnon et fait forte impression, « on s’est retrouvés tous les deux sur notre premier tournage professionnel. C’est donc grâce à lui que je suis rentrée dans le monde professionnel du cinéma luxembourgeois, et ainsi dans celui du théâtre ».

Elle se rappelle d’un sentiment étrange, lié à l’accueil privilégié qu’on réserve aux comédiens sur un tournage, « on avait l’impression que tout tournait autour de nous, comme si nous étions importants, alors que je me sentais toute petite et que j’étais juste reconnaissante de pouvoir jouer dans un court-métrage ».

À l’écran Elle enchaîne avec l’un des rôles centraux de la série à succès Capitani créée par Thierry Faber, Éric Lamhène et Christophe Wagner. Là, aux côtés de Luc Schiltz et Sophie Mousel, elle incarne Tanja et Jenny Engel, deux sœurs jumelles au cœur de l’enquête. Un « double » rôle que la jeune actrice appréhende avec professionnalisme : « en lisant le script, j’ai compris l’importance de mon rôle dans cette histoire. Cette lecture m’a surprise de la même façon que l’ont certainement vécu les spectateurs en regardant la série. Ça m’a captivée ». Il est important pour elle de bien comprendre l’intrigue et quel rôle tiennent ses personnages. Elle lit et relit le scénario pour s’y immerger et surtout pour préparer ce double rôle et réussir à différencier les jumelles : « Il fallait que ça soit clair pour moi, qui est qui, ce qui caractérise l’une ou l’autre, et ce qui les distingue. Le scénario m’aidait évidemment, car on y trouve des détails sur le caractère de Jenny et celui de Tanja. Sans spoiler la série, pour expliquer ce rôle je dirais simplement que je jouais un double jeu, un rôle dans le rôle ».

Le genre du policier a cette particularité d’omettre la mort en tant que telle : C’est l’enquête, la résolution, la quête de la vérité qui comptent. Aussi, si la mort passe au second plan, elle permet de placer autour de nombreux débats et notamment dans Capitani, la douloureuse « condition adolescente ». Jil Devresse glisse un peu d’elle-même dans l’incarnation de ces deux jeunes femmes de quinze ans, aux prises à l’adolescence. « Chaque rôle est inévitablement influencé par la personne et les expériences de l’acteur. Finalement on reste toujours soi-même, qui plonge dans le corps et le monde de quelqu’un d’autre. On doit essayer de se mettre à sa place. Et pour ça on se sert toujours d’abord de sa propre personnalité et de son propre vécu ». Lors du tournage, la jeune actrice a vingt ans, et est déjà passée à travers ce processus de quête identitaire. Pourtant, elle admet des similitudes entre les jumelles et elle, en tant qu’ado : « J’étais certainement aussi perdue et renfermée, comme l’est mon rôle principal… » En même temps, le fait de se retrouver sur un plateau, entourée d’artistes et de techniciens professionnels l’a intimidée, « je me sentais toute petite, ce qui m’a peut-être aidé à jouer l’âge, l’adolescence ».

Malgré ses rôles de Marianne dans Virophage, le dernier court-métrage de Nilton Martins ou celui de la fille du pasteur dans 15 Jahre, le denier long-métrage de Chris Kraus, le cinéma s’invite moins dans le parcours de Jil Devresse pour laisser énormément de place au théâtre, « Capitani m’a plutôt ouvert les portes du théâtre plutôt que celles du cinéma. Dans les deux domaines nous avons, en tant qu’acteurs, la même fonction : jouer », explique-t-elle avec enthousiasme. Depuis 2020, le théâtre a pris une large place dans son quotidien, à tel point qu’elle cumule des rôles dans huit productions ces trois dernières années. Son histoire au théâtre débute par le rôle de Darstellerin dans Eine Schwalbe macht noch keinen Sommer mis en scène par Ina Nil Gercke, présentation de fin d’études d’un cours d’acrobatie qu’elle a l’occasion de présenter au FEZ à Berlin. Un projet atypique entre poésie, corps et mouvements, du théâtre physique pour son entrée en matière dans le monde de la scène professionnelle. « J’aime le travail corporel et la façon dont on peut s’exprimer uniquement avec le corps et le mouvement, sans un mot. Les histoires qu’on peut raconter juste par le mouvement sont incroyables et fortes, c’est de la poésie corporelle ».

Sur les planches Lors de la saison 2020/21, elle est présente dans pas moins de trois créations, le délirant Das Fenster mis en scène par Thorsten Köhler pour le Staatstheater Saarbrücken, le projet pédagogique Wellbeing – Mental Noise mis en scène par Nathalie Moyen aux Rotondes et De Bësch, une pièce immersive en forêt, de Anne Simon et Max Jacoby. Trois expériences théâtrales très différentes qui la font voyager entre le jeune public, le théâtre documentaire et une expérience spectaculaire hybride en extérieur. Avec ce trio de pièces elle aborde à différents degrés la création contemporaine spectaculaire, là où le théâtre se fait dans un processus commun entre le metteur en scène, les comédiens et éventuellement l’auteur : « Les créations exigent bien plus de contribution personnelle que d’autres projets. En tant que comédienne je dois m’impliquer beaucoup plus pour par exemple créer un personnage et les thèmes qui le préoccupent et le font agir pour ainsi ajouter de l’action à la pièce ».

La pièce Das Fenster, en coproduction avec le Staatsthetaer Saarbrücken, lui permet une « merveilleuse entrée » dans le théâtre professionnel. Si le processus pour arriver au résultat final n’a pas toujours été facile, ce projet lui tient énormément à cœur. « On ne savait pas vraiment où on allait, jusqu’au dernier moment. Ça a fini par être une pièce unique et absurde, quelque chose entre comédie musicale et vieux film d’horreur, pleine de références à Disney, et nourrie par les clichés de la génération YouTube, Instagram et TikTok, sans oublier les idées apocalyptiques et une peur croissante du monde extérieur dangereux et potentiellement mortel de cette génération ». Ce mélange qu’elle qualifie de « bizarre » ne manque pas d’humour, celui propre au metteur en scène qui la marque.

Le Projet Wellbeing, produit par les Rotondes, en collaboration avec nombreuses classes de lycées, rassemblait 160 témoignages de jeunes adolescents parlant de leurs peurs, leurs rêves et de leur bien-être. « Nous avons décidé de nous servir de leurs mots, nous avons créé cette pièce essentiellement à partir des phrases que nous avons reprises telle quelle ». C’est ainsi que né l’aspect documentaire de la pièce, bien que le plus gros défi de cette création pour les interprètes fût l’interdisciplinarité avec « une comédienne, un rappeur et un danseur qui font du théâtre ». La troisième création De Bësch, a été une tout autre challenge pour Jil Devresse, en tant qu’expérience immersive en plein air, « l’aventure commençait au coucher du soleil, et spectateurs et comédiens se promenaient dans le noir complet de la forêt, équipé seulement d’une lampe de poche ». Le jeu est soumis au public, dans le sens où l’interaction y est nécessaire, « le vrai jeu s’est créé au moment où il y avait le public. C’est toujours le cas au théâtre, mais cette pièce l’a confirmé. Il y a eu des très beaux moments, comme de se retrouver seule avec un spectateur et d’en faire son complice ».

Consolidation L’année 2022 marque l’implantation concrète de Jil en tant que comédienne au sein du théâtre luxembourgeois. En une année, elle joue dans quatre productions, voyageant du Centre des arts pluriels Ettelbruck aux Théâtres de la Ville de Luxembourg, en passant par le Centaure. Des choix de projets qu’elle justifie de passion et de gratitude, « je suis reconnaissante d’avoir rapidement eu la chance de pouvoir travailler dans ce secteur. Quand je reçois une proposition, je suis toujours contente de pouvoir jouer, et me confronter à de nouvelles thématiques ». Elle admet s’intéresser à certains thèmes plus qu’à d’autres. « Il y a des thèmes qui me semblent important, comme l’abus sexuel et l’abus de pouvoir, dans Blackbird ou bien les préoccupations et peurs au niveau politique et écologique de toute ma génération, dans Léa et la théorie des systèmes complexes ». Parfois, elle accepte des propositions, « juste parce que la pièce a l’air fun ». Mais, « finalement on ne sait jamais à quoi s’attendre quand on accepte un projet. Ce qui me stimule le plus, c’est quand un rôle me pose un défi. Chaque rôle est un défi, mais certains plus que d’autres ».

Dans ce sens, dans Was heißt hier Liebe mis en scène par Nickel Bösenberg, elle tient le rôle de Christina, une reprise de rôle après aux premières dates au Théâtre d’Esch. Devresse a besoin de se sentir en sécurité et, dans ce cadre de cette reprise, elle n’a pas l’opportunité de réinventer le rôle. « J’ai fait tout ce que je pouvais en préparation à l’aide de la vidéo d’une des représentations à Esch. Je voulais être vraiment bien préparée pour pouvoir tirer le plus possible de ces quelques jours de répétition et pour me sentir en confiance sur scène ». Elle doit « imiter le rôle que je voyais, mais à ma façon ». C’est seulement pendant les représentations qu’elle trouve sa Christina, « quand on arrête de réfléchir, et qu’on commence à jouer ».

Cette même année 2022 est finalement chargée en défis pour la jeune interprète… Elle a la chance de lire The wheels will come off – aujourd’hui titré Léa et la théorie des systèmes complexes –, texte de Ian De Toffoli. Une pièce multilingue qui mêle saga épique et poétique, théâtre documentaire et théâtre narratif, qui traite du lien entre l’industrie pétrolière et les structures économiques européennes et luxembourgeoises. Une mise en voix de la dramaturgie engagée de l’auteur luxembourgeois que Jil Devresse accepte sans avoir aucune idée de ce que ça allait être, « je savais seulement que ça parlait de l’industrie pétrolière. Quand j’ai lu les premiers chapitres, j’ai rapidement été convaincue par ce projet. Ce n’est pas spécialement un texte scénique comme on en a l’habitude au théâtre, mais j’ai beaucoup aimé raconter ce récit, tout en le vivant ». Et cette heureuse expérience n’est pas sans lendemain puisque la comédienne sera au casting de la pièce lors de la création sous la direction de Renelde Pierlot, la saison prochaine aux Théâtres de la Ville de Luxembourg

En novembre 2022, Jil Devresse jouait Blackbird du dramaturge écossais David Harrower. Aux côtés de Jules Werner et sous la direction de Myriam Muller, elle interprète Una, une jeune femme dans la vingtaine, qui rend visite à Ray, un quarantenaire avec qui elle a eu une « relation » alors qu’elle n’avait que douze ans. Avec cette création, l’équipe du Centaure trouve un vif succès public et c’est sous une foule de critiques dithyrambiques que se poursuivent les dix dates de cette pièce coup de poing. Là, comme sur chaque rôle, elle sent l’exigence du don de soi, ce qui lui permet de progresser sur le plan artistique, et certainement pour son rôle de Una, qui n’a pas été un rôle facile, « le travail sur cette pièce a clairement été un travail intensif, mais étonnamment agréable, grâce à cette équipe vraiment formidable et l’atmosphère de confiance qui s’est créée ». Et jouer une pièce entièrement en anglais a été un nouveau défi, pour elle, « des quatre langues que je parle, l’anglais est clairement celle que je parle le moins bien. Mais au fil des répétitions c’est devenu tellement naturel pour moi ».

Jil Devresse enchaine ainsi les projets, un rythme sans déranger la jeune comédienne qui, aux prémices d’une belle carrière, a fait du hasard des choses, ses ambitions d’aujourd’hui. « Je ne sais pas trop comment j’ai fait pour me retrouver où je suis maintenant. À un moment, j’ai juste décidé de faire ce que j’aimais faire. Et quand on aime faire les choses qu’on fait, on finit par bien les faire, en tout cas j’espère ».

Godefroy Gordet
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