Avec La poupée barbue, le Fundamental Monodrama Festival a démarré par un « seul en scène » qui plonge le spectateur dans les ravages d’une guerre fratricide au Cameroun, vécus par une adolescente dont on se demande si, marquée par la guerre, la peur, les luttes qui l’étouffent, la jeune Bénédicta pourra un jour se remettre et renouer avec une vie en paix.
L’auteur, metteur en scène et comédien camerounais Edouard Elvis Bvouma, récompensé notamment pour La poupée barbue, montre le sort des enfants en temps de guerre, en donnant la parole à une adolescente qui a perdu ses parents, sa maison, ses rêves et aspirations. Elle a été enlevée puis enrôlée dans un groupe de soldats rebelles. Victime d’un viol collectif par des combattants de l’ethnie rivale le jour de son enlèvement, puis au service du commandant du groupe, elle est tombée enceinte, a essayé de tuer le bébé qu’elle ne peut accepter puis s’est enfuie. D’un camp de réfugiés où elle est placée, elle s’est enfuie pour retrouver le jeune soldat qui l’a sauvée dans un premier temps des griffes des soldats.
Mais il reste silencieux. Boy Killer, un enfant-soldat, est pour l’adolescente une présence et elle lui raconte dans un long monologue – d’abord avec des mots de petite fille, puis de jeune fille lucide – ce qu’elle a vécu, ses peurs, ses combats et ses rêves anéantis.
Dans une scénographie très évocatrice, signée Anouk Schiltz, un espace de bric-à-brac délimité, dans la forêt, mais surtout un refuge pour la jeune fille, s’accumulent objets d’usage courant, souvenirs, notamment un grand parapluie troué, qui symbolise la précarité de l’endroit. Suspendue en évidence, une kalachnikov, sa kalach dit-elle, objet de défense, de survie, puis l’attention se focalise sur une poupée en chiffons représentant Boy Killer, le confident, le réceptacle des paroles de l’adolescente mais aussi une présence rassurante.
Dans cette construction précaire, sa maison, son univers, qui semble « prendre vie » sous les discrets effets de lumière d’Antoine Colla, vit Bénédicta (interprétée par Juliette Moro), enfouie dans son vécu ou en alerte, aux aguets au moindre signe de vie à l’extérieur. Elle veut se battre pour se venger. Au fur et à mesure du déroulement de ses souvenirs qui reprennent vie, elle se montre combative, enragée ou en attente, enfouie en elle-même. Parfois elle semble redevenir enfantine, un brin espiègle. Régulièrement elle court se réfugier auprès de Boy (ou de la figure qui le représente). Blottie contre lui, elle trouve compréhension, chaleur et courage pour reprendre les mots qui relatent le chemin de son calvaire.
Guidée par la mise en scène sensible et inventive d’Anne Brionne, qui exploite bien les possibilités offertes par la scénographie, la comédienne Juliette Moro donne vie à son personnage, elle campe une adolescente alerte, courageuse et attachante. Elle pourra peut-être montrer davantage sa blessure intérieure et la férocité enracinée dans le personnage et surtout, elle parle trop pour elle-même, oubliant le public attaché à l’histoire.
Lucide, perspicace Bénédicta dénonce les sévices subis mais aussi la position de la femme dans la société africaine, au service des hommes. Elle évoque les inégalités entre les sexes et s’interroge sur l’avenir de son pays. Sa parole est utilisée comme un témoignage mais aussi comme une conjuration, une sorte d’exorcisme. Peut-elle retrouver une paix intérieure et vivre humainement ? Ou restera-t-elle marquée à vie par les atrocités subies ?
La poupée barbue, un spectacle à voir absolument.