Dix-huit. Deux fois neuf. Selon un rapport publié par la Banque Mondiale début septembre, intitulé « Women, Business and the Law 2016 », ils ne sont que dix-huit pays dans le monde, sur un total de 173 étudiés, soit à peine dix pour cent, à ne pas imposer de restrictions juridiques aux femmes. Leur liste ne manque pas de surprendre. On y trouve : l’Afrique du Sud, l’Arménie, le Canada, la République Dominicaine, l’Espagne, l’Estonie, la Hongrie, le Kosovo, Malte, le Mexique, la Namibie, les Pays-Bas, la Nouvelle- Zélande, le Pérou, Porto Rico, la Serbie, la Slovaquie et Taiwan.
Le Luxembourg, tout comme ses trois voisins immédiats (Allemagne, Belgique et France), en est absent. Il fait donc partie des 90 pour cent de pays qui ont au moins une loi discriminatoire envers les femmes, bien que, peut-on lire sur le portail du gouvernement, « l’égalité entre femmes et hommes est inscrite dans la Constitution et constitue une réalité juridique au Luxembourg. En effet, femmes et hommes ont les mêmes droits et les mêmes obligations et la loi interdit toute discrimination fondée sur le sexe. »
En cause, en priorité les réglementations du travail, qui établissent des différences entre les hommes et les femmes dans tous les pays couverts par le rapport. La plupart d’entre elles visent à protéger les femmes (interdiction du travail de nuit par exemple) ou à faciliter leur accès à l’emploi, mais beaucoup font obstacle à leur participation à la vie active. Ainsi le document constate que les femmes sont confrontées à des restrictions d’emploi dans cent des 173 pays suivis, soit 58 pour cent. Par exemple, dans 41 pays elles sont empêchées d’occuper certains emplois dans les usines ; dans 18 autres elles ne peuvent pas obtenir un emploi sans la permission de leur mari. Le congé de maternité existe dans seulement la moitié des économies couvertes, et moins d’un tiers ont un congé parental. Dans 59 pays il n’y a pas de loi réprimant le harcèlement sexuel en milieu professionnel.
Les obstacles juridiques au travail des femmes reflètent un contexte législatif qui, plus généralement, leur est défavorable : ainsi dans trente pays, les femmes mariées ne peuvent pas choisir où elles vont vivre et dans 19 pays, elles sont légalement tenues d’obéir à leurs maris. De ce fait le rapport de la Banque Mondiale, qui est publié tous les deux ans, analyse les différences juridiques sur la base du sexe dans sept domaines : accès à l’emploi, à l’éducation, au crédit, à la justice, au logement, incitations au travail et protection contre la violence Au total il a recensé 950 cas d’inégalités légales !
« C’est une grave injustice que d’imposer des restrictions juridiques à la capacité des femmes de participer à la vie économique. Comme les hommes, elles méritent toutes les chances de réaliser leur potentiel, peu importe où elles vivent. Ces limitations sont également mauvaises pour l’économie. Les femmes représentent plus de la moitié de la population mondiale. Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser leur potentiel inexploité, soit que les lois ne parviennent pas à protéger les femmes contre la violence, soit qu’elles les excluent des possibilités financières, de la propriété de biens ou de professions », a déclaré le président du Groupe de la Banque Mondiale le coréen Jim Yong Kim. « Lorsque les femmes peuvent travailler, avoir des revenus et gérer des entreprises, les avantages dépassent de loin le niveau individuel : ils concernent les enfants, les communautés et les économies dans leur ensemble. Nous ne nous connaîtrons pas le repos tant que les femmes n’auront pas des droits économiques complets partout », a-t-il ajouté avec emphase.
Le pays avec le plus de barrières liées à l’emploi est la Russie, où 456 types d’emplois sont inaccessibles aux femmes (conduite d’engins agricoles ou de bulldozers, aiguilleur de train ou plombier). Mais ce sont les femmes du Moyen-Orient et d’Afrique du nord qui doivent affronter les plus fortes contraintes. Dans cette région se situent onze des quinze économies les plus restrictives au monde en termes de capacité des femmes à travailler comme salariée ou à créer une entreprise, à savoir l’Arabie saoudite, la Jordanie, l’Iran, le Yémen, l’Irak, Bahreïn, les Émirats arabes unis, Oman, la Syrie, le Qatar et le Koweït. Les quatre autres sont l’Afghanistan, le Soudan, la Mauritanie et le Brunei. Dans tous ces pays il existe aussi des lois qui interdisent aux femmes mariées de devenir chef de ménage ou d’obtenir un passeport sans la permission de leurs maris. En Arabie Saoudite, elles ne peuvent ni ouvrir un compte bancaire, ni voyager, ni conduire, ni même subir une intervention chirurgicale sans cette autorisation.
Les obstacles à l’avancement économique des femmes sont également monnaie courante en Asie du Sud, mais en Asie de l’est et dans le Pacifique, des avancées substantielles ont été accomplies en vue d’une meilleure participation économique des femmes : en dehors de progrès dans la législation du travail, les gouvernements de la région ont fait preuve d’innovation en matière financière et fiscale.
Le cas de l’Afrique sub-saharienne est particulier car cette zone, qui a connu un rythme législatif soutenu, avec 18 réformes adoptées dans les deux dernières années, recouvre à la fois une dizaine des pays les plus restrictifs au monde, mais aussi deux des 18 économies sans barrières entre les sexes (Afrique du sud et Namibie).
En Amérique latine et dans les Caraïbes, la quasi-totalité des pays ont désormais des lois assurant la protection des femmes contre la violence domestique, mais leur mise en œuvre reste difficile et de nombreuses restrictions persistent quant aux possibilités d’emploi. Tout comme en Europe d’ailleurs, où le rapport, tout en reconnaissant qu’il s’agit de l’une des régions les plus avancées en termes de droits de propriété, d’accès au crédit ainsi que de congés de maternité et de paternité, regrette que « les lois du travail continuent à exclure les femmes de nombreux emplois de manière injustifiée ». Exemple curieux : en France elles ne peuvent pas devenir « croque-mort ».
Sarah Iqbal, principale auteur du rapport, reconnaît que « les lois ne peuvent pas garantir l’égalité de traitement pour les femmes, mais elles sont la première étape vers la création d’un terrain de jeu où les femmes ont la possibilité de s’épanouir ». Son leitmotiv est que la discrimination des femmes est un facteur de pauvreté, alors que plus elles sont libres, plus la prospérité s’accroît.
Sous le thème Getting to equal (marche vers l’égalité), le rapport constate avec satisfaction qu’au cours des deux dernières années, 80 réformes tendant à « niveler le terrain de jeu » en faveur des femmes ont été adoptées, en grande majorité dans les économies en développement car parmi les plus riches les femmes jouissent déjà d’une large égalité. Cela dit, en deux ans douze pays de l’O.C.D.E (sur 34) ont quand même pris une quinzaine de dispositions pour promouvoir l’activité économique des femmes.
La Banque Mondiale se réjouit également que les lois protégeant les femmes contre les violences conjugales soient de plus en plus fréquentes dans le monde entier, comme conséquence de forts engagements internationaux dans ce domaine. Aujourd’hui 127 pays disposent d’une législation contre la violence domestique, contre pratiquement aucun il y a 25 ans, ce qui traduit la prise de conscience que « maltraiter les femmes a un coût colossal sur les plans humain et économique ». Mais il reste 46 pays qui ne disposent pas encore de ces protections juridiques, dont la Birmanie, l’Ouzbékistan et étrangement l’Arménie, pourtant exemplaire en matière d’absence de discrimination.
Ce cas illustre le fait que, « malgré les progrès, des inégalités persistent » selon le chilien Augusto Lopez-Claros, directeur du Global Indicators Group à la Banque Mondiale, qui remarque que « dans les deux dernières années, seulement quatre pays (Croatie, Hongrie, Kenya et Nicaragua) ont amélioré les droits de propriété des femmes et deux pays (Égypte et Mozambique) ont adopté des lois pour protéger les filles contre le harcèlement sexuel dans les écoles secondaires ».
Son collègue indien Kaushik Basu, économiste en chef et vice-président de la Banque Mondiale, déplore le décalage entre les bonnes intentions et la réalité : « il est hautement significatif que si presque tous les pays sur la terre assurent que les femmes ne devraient pas être victimes de discrimination, elles le sont toujours dans la pratique » a-t-il reconnu, alors que la suppression des restrictions, notamment dans le travail , pourrait « libérer l’énergie et la croissance ».