« Wou ass dann d’Ausstellung ? Et sollt dach och eng Ausstellung sinn hei ? », dit une voix derrière ma tête. Dans la salle dite chapelle, au premier étage du Centre culturel de rencontres Neimënster (CCRN), qui d’ailleurs sert de passage plutôt que de salle à proprement parler, pendent, timidement, les 19 panneaux de l’exposition Femmes bâtisseuses d’avenir dans un cadre baroque aux dorures et aux saints collés contre le plafond.
Nul ne sait combien de personnes auront vu l’exposition, car elle s’est passée parmi tellement d’autres choses au Neimënster et elle s’est tenue à un endroit où l’on ne passe pas sans raison. On aura vitre fait le tour de l’exposition, qui est annoncée et expliquée dans l’introduction de manière succincte : dans le cadre des préparatifs des festivités autour de la journée internationale de la femme (Jif), organisée par la plateforme éponyme, le 8 mars, un manque est constaté : la présence de la femme en tant qu’actrice économique. Avec l’exposition Femmes bâtisseuses d’avenir, il s’agira de montrer la femme active dans le cadre d’une profession où la femme est de plus en plus présente, tant au Luxembourg que dans le monde, mais, où l’on constate qu’elle n’assume guère la tête d’entreprise à elle toute seule. Force est de constater également, grâce aux chiffres, qu’en comparaison avec leurs collègues masculins, peu d’étudiantes en architecture choisissent la profession d’architecte, et que peu de femmes architectes sont primées pour leur œuvre.
Ainsi l’exposition montre des femmes architectes qui sont à la tête de leur entreprise. Il y en a huit, alors que l’on était parti d’un nombre quatre fois plus important. Faut-il y voir là aussi un indicateur qui s’alignerait dans les chiffres et comparatifs précités ? Aux organisateurs et lecteurs d’en tirer des réflexions. Aux huit femmes sont posées cinq questions-types auxquelles elles auront été confrontées tout au long de leur études et de leur carrière : Qu’est-ce- pour vous que l’architecture ? Pourquoi avez-vous choisi le métier d’architecte ? Quelles sont vos visions concernant votre avenir professionnel ? Quelle est votre réponse par rapport à la question enfant/carrière – chance ou contradiction ? Est-ce que (votre) architecture a un genre ? Chaque architecte se positionne à la plupart de ces questions aux moments clefs de son parcours. Comment savoir autrement si l’on se trouve sur la bonne voie, comment concevoir autrement son avenir, et celui des autres ?
Cependant, afin que les réponses puissent éclaircir les constats faits quant à la présence et l’affirmation de femmes architectes dans la profession de l’architecte, il aurait fallu poser ces questions à bien plus d’architectes, à des étudiant(e)s en architecture, à des ancien(ne)s étudiant(e)s en architecture. Il est difficile de comprendre l’échec ou le mécontentement du grand nombre par les réponses de huit superwomen. Car superwomen, elles le sont : Claudine Arend, Tatiana Fabeck, Françoise Folmer, Diane Heirend, Arlette Schneiders, Andrea Schroeter, Gabriella Stefanetti et Martine Vermast. Ou du moins, elles paraissent l’être : elles ont tout réussi, elles ont tout eu. Les fans d’architecture à Luxembourg connaissent ces femmes qui désormais ont une réputation, qui gagnent des concours, qui construisent notre environnement bâti, qui sont établies, qui sont architectes quoi. Some guys have it all, some girls too ! Jusque-là, l’exercice semble servir plutôt à encourager les jeunes lycéennes à choisir le métier d’architecte sans hésitation, sauf que là n’était pas le but ultime de l’exposition…
« Ech duecht et géif ëm Architektur goen », dit de nouveau la voix derrière ma tête, toujours dans la Chapelle du Neimënster, lors de la table-ronde Der Architekt ist eine Frau, ach so… ! Une discussion qui a fait salle plus que pleine : on ne manquait pas seulement de chaises, mais bien d’espace pour ce public curieux, avide, éveillé, aux exclamations par moment dogmatiques. Suites aux divers discours d’introduction bourrés de chiffres et de faits concernant la femme professionnelle, la table-ronde réunissant les architectes Claudine Arend, Christian Bauer, Diane Heirend et François Valentiny a vite pris des allures de satire, voire de cabaret. Le modérateur, Hans Fellner, l’avait bien dit : on allait vite finir par atterrir dans la « Kampfzone » hommes/femmes, qui sert mieux à quoi, qui fait mieux quoi ?… Le moment était venu de prendre la fuite, mais par où ? Les clichés étaient balancés à cœur joie dans un sens autant que dans l’autre, tantôt on riait, tantôt on se montrait étonné voir indigné et affronté. Une table-ronde aux allures de montagne russe, l’on se croyait effectivement à la Schueberfouer, légèreté, bassesse, superficialité, sensation fortes, rires, parsemés de quelques brefs instants lucides de recueillement.
Ce n’est qu’au moment des conclusions que certaines petites voix déçues qui se sentaient outrepassées et oubliées se sont manifestées et ont contrecarré les presque deux heures de discussion passées. Décidément, les huit superwomen ne semblaient donc pas représenter la réalité quotidienne des femmes architectes… Le « problème » persistait au jour le jour, tout n’était pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. Paff ! An elo ?
Femmes bâtisseuses d’avenir et Der Architekt ist eine Frau, ach so… ? ont été un début et les organisateurs et participants ont dû constater tant bien que mal que les clichés n’en sont éventuellement pas, que le « problème » – qui n’a pas pu être nommé ni qualifié précisément – semble persister, semble être à l’échelle de la société et ne pourra pas être réduit à un problème de genre. C’était une véritable expérience de praatplaatje : une image qui sert à lancer les discussions. Les discussions sont lancées, pourvu qu’elles soient fructueuses.