L’humilité paie rarement en musique. Comme partout ailleurs, les fanfarons, comme les opportunistes, s’escrimant pour avoir leur place au soleil, laissent au mieux des miettes au reste du panier de crabes. Et tant pis pour les timorés ou ceux dont l’élégante discrétion passe inaperçue, il faut du flashy, du qui pète ou du bien lisse, facilement digérable, quitte à être aussitôt oublié dans les modes de consommation courante. Rien de bien nouveau dans ce constat et ce n’est pas Yegussa, powertrio instrumental, qui va révolutionner les codes en vigueur avec son premier mini-album éponyme. Et pourtant, si Yegussa fait de son attitude profil bas un sacerdoce, il semble y avoir dans ce jeune groupe une foi inaltérable dans ce qu’ils font, à savoir un rock hypnotique, noisy et instrumental qui se moque éperdument des modes et des bienséances. Qui plus est, cet album frappe d’emblée par la magnifique sérigraphie qui orne la pochette en carton de l’album et qui a été façonnée artisanalement par les membres de Yegussa, tenant ainsi la dragée haute à beaucoup de pochettes bâclées.
Une première écoute distraite aura tôt fait de les cataloguer comme émules de Tvesla, despote éclairé de la noise sans paroles made in Luxemburg. Les deux formations privilégient une musique si-nueuse et viscérale, ont souvent partagé les mêmes cafés-concerts miteux, mais Yegussa opte pour une approche plus ramassée (les morceaux ne dépassant qu’à une exception près les six minutes) et moins anguleuse que leurs frères d’armes plus aguerris. Mais leur version du psychédélisme sale, hypnotique, ombrageux et menaçant promet des lendemains qui déchantent, comme le sermonne ce groove poisseux et insistant qui domine sur leurs compositions. Cette pesanteur porte néanmoins en elle les germes d’un esprit planant comme sur l’oppressant Our ship will sink, qui voit une ligne de basse minimaliste entonner les débats sur un rythme implacable, approfondis par des accords presque jazzy semant un trouble lancinant avant une cassure de rythme, où le guitariste lâche ses penchants pour des accords hendrixiens, fixation présente tout au long du disque, mais jamais oppressante.
Suivant une logique qui leur est propre, s’insinue une espèce de chaos maîtrisé où chacun des membres de Yegussa a son rôle bien défini. Les autres morceaux suivent ainsi ce schéma bipolaire d’accélérations et de décélérations, à la lettre comme sur Cheap Boxxx, plus faible morceau ou de manière plus inspirée comme sur la tripotée des morceaux qui suivent. Ainsi Monologue encense une tripartite inédite et cachée entre Can, A Minor Forest et Kyuss tout en volutes fuzz qui se répandent sur des martèlements tribaux. Public Enemy implore de manière obsessionnelle en staccatos répétés une divinité encore inconnue, se prenant de convulsions presque funky avant de se désagréger lentement. Les influences stoner reviennent au pas de charge sur We don’t need no bodybuilding.
Radical, Yegussa renfloue les effectifs d’une scène instrumentale grand-ducale qui a peu à peu perdu de sa superbe au fil des ans, n’égrenant aujourd’hui plus que Tvesla et les trop rares Chief Mart’s. Adepte d’une approche no bullshit, le trio, avec une certaine épure dans ces compostions et la cohésion aidant, devrait encore faire parler la poudre, s’ils parvient à gommer les quelques approximations et/ou errements coupables dans l’un ou l’autre morceau.