d'Lëtzebuerger Land : Depuis six ans, depuis la création de Den Atelier, vous avez acquis un certain professionnalisme dans la programmation pour une telle salle, de taille plutôt modeste. Le festival Terres-rouges.lu sera le premier festival open-air que vous programmiez. Qu'est-ce qui change dans l'approche ?
Laurent Loschetter : Tout est différent. Nous découvrons chaque jour de nouveaux problèmes qu'il s'agit de résoudre. Lorsque la Ville d'Esch nous a abordés pour cette charge, nous avons d'abord essayé de régler les questions techniques. Ce n'est qu'une fois les conditions techniques idéales garanties et leur coût évalué que nous nous sommes lancés dans la programmation et que nous avons commencé à contacter les groupes avec le budget qui nous restait.
Selon quels critères les avez-vous choisis ? Avec Hooverphonic, Morcheeba ou Reamonn, vous avez opté pour des groupes plus « soft » et commerciaux, alors que Madrugada et surtout Placebo sont résolument rock. Ce qui étonne peut-être le plus, c'est que toute la programmation est non seulement d'un niveau international, mais en plus résolument actuelle, qu'on n'y rencontrera pas ces éternelles stars d'avant-hier qui ont l'habitude de venir terminer leur carrière au Luxembourg...
Au début, la Ville d'Esch voulait que nous programmions des formations de différentes nationalités, une pour chaque groupe de la population eschoise, des Italiens, des Yougoslaves, des Portugais etc. Mais nous leur avons tout de suite dit que nous refusions de faire un Carnaval des Cultures bis. Une fois que nous en avons discuté, nous avons pu les convaincre qu'il était important d'organiser un festival vraiment professionnel, d'un haut niveau. Et je suis assez satisfait que nous ayons réussi à faire une programmation sans trop de concessions, qui concilie néanmoins différents types de publics, ceux qui se connaissent en musique amplifiée et ceux qui aiment peut-être une chanson qu'ils entendent toujours à la radio sans vraiment connaître le nom de l'interprète. En fait, nous catégorisons les publics par radio : ainsi, nous voulons faire un festival qui convienne aux auditeurs de RTL Radio Lëtzebuerg aussi bien qu'à ceux d'Eldoradio ou encore ceux de Radio 21.
Nous avons fait une programmation spécifique au site : au début, le festival devait se dérouler sur le friche de Terres Rouges (d'où son nom) et nous y prévoyions une orientation allant plus dans le domaine des musiques électroniques, ainsi les sons nouveaux, synthétiques auraient pu dialoguer avec les anciens bâtiments industriels qui y ont survécu. Mais, comme les coulisses de Delux pour Secret Passage y restent encore en septembre, le festival fut déménagé au Stade Emile Mayrisch : en pleine nature, notre programmation a donc forcément dû être adaptée à cet univers plus idyllique. On nous avait par exemple proposé Marilyn Manson, mais vous pensez bien que politiquement, cela n'aurait pas été tenable.
Il s'agit d'un premier grand festival open-air à Esch, et même, dans ce style musical pop-rock, au Luxembourg. Comment avez-vous réussi à signer avec les groupes, sur quels bases ? Je pense notamment à Placebo, méga-stars mondiales du rock actuel dont deux membres, Brian Molko et Stef Olsdal, ont grandi au Luxembourg et n'en ont pas les meilleurs souvenirs...
Notre expérience et les contacts que nous possédons grâce à six ans de travail à Den Atelier nous ont beaucoup aidés, d'ailleurs certains groupes comme Placebo, Morcheeba ou Hooverphonic ont déjà joué route de Hollerich. Pour Terres-rouges.lu, nous voulions d'abord programmer Garbage en tête d'affiche, puis les Fun Lovin' Criminals, mais tous les deux se sont désistés. Morcheeba ont été assez rapides à signer. Restait à convaincre Placebo.
Vous savez qu'ils ont joué plusieurs fois déjà à Den Atelier, et Brian Molko n'a jamais caché, ni chez nous, ni à l'étranger, le mépris qu'il a pour certains côtés du Luxembourg. Néanmoins, lors de leur dernier concert chez nous, il y a quelques mois, nous leur avons parlé du festival et Molko trouvait cela tout de suite intéressant ; or, quelques jours plus tard, leur agent nous informait que la tournée de promotion de Black Market Music se terminait le 27 août et que l'équipe se séparait là, que ce concert était donc impossible. C'est en passant par le frère de Brian Molko, qui habitait alors encore au Luxembourg, que soudain toutes les portes se sont ouvertes, le manager a confirmé leur venue le lendemain ! Ils vont donc jusqu'à se reformer pour ce seul concert : cela veut dire que jouer au Luxembourg leur importe vraiment. D'ailleurs à tous les concerts à Den Atelier, les parents et toute la famille de Brian Molko étaient là.
La Ville d'Esch investit 25 millions de francs dans l'organisation du festival Terres-rouges.lu, c'est-à-dire dans les spectacles de rue des trois jours plus l'open-air. Grâce à cet investissement public, le festival sera entièrement gratuit pour les spectateurs, sauf les boissons, les repas et les toilettes. Est-ce que cette gratuité change quelque chose pour vous, qui êtes habitués aux concerts payants ? Est-ce que vous avez par exemple dû penser plus « grand public » ?
Nous n'avons jamais plaidé pour la gratuité ! Il nous semblait important que les gens payent, ne serait-ce qu'une somme minimale, 300 francs ou quelque chose dans ce genre-là. Avoir des tickets nous aurait permis de garder un contrôle de l'envergure du public auquel il faut s'attendre, et donc de pouvoir mieux prévoir. Maintenant, nous ne savons pas du tout dans quel ordre de grandeur nous nous situons : est-ce qu'il y aura mille personnes, 8 000 ou 100 000 ? Nous ne saurons le dire que le soir même, et pourtant, il faudra que tout fonctionne, quelle que soit l'affluence.
Le stade peut accueillir 30 000 personnes, c'est tout ce que nous savons. Par exemple, nous avons reçu beaucoup de mails de gens qui viendront exprès de Belgique, nous sommes donc en train de prévoir une zone camping. Il faut penser à tout pour une estimation maximaliste : le 9 septembre, jour du festival, il y aura 7 000 places de parking gratuites ; 600 personnes travailleront sur le site, dans tous les domaines, des policiers en passant par les pompiers, les services techniques ou les vendeurs de boissons jusqu'aux trente dames pipi, chargées d'assurer une hygiène parfaite des toilettes. Tout cela, nous l'apprenons, c'est une première pour nous aussi. Notre contrat dit que nous sommes engagés pour la programmation et la production technique, mais en réalité, nous nous occupons de tout, en coopération avec Guy Assa de la Ville d'Esch.
En fait, le festival Terres-rouges.lu est pour nous comme la réalisation d'un vieux rêve d'adolescent, un peu comme l'était l'Atelier il y a six ans. Nous avions déjà établi un concept pour un grand festival open-air, que nous devions organiser à Luxembourg avec Marc Binsfeld pour les festivités de l'an 2000, mais le projet a été avorté en dernière minute par la commune. C'est donc quelque chose qui nous trotte dans la tête depuis un moment.
Côté technique, vous avez vu grand : une scène de vingt mètres sur quinze, une puissance de 300 kilowatts de lumière, 60 kilowatts de son, deux écrans géants de 25 mètres carrés chacun, cinq caméras - cet équipement ne se trouve guère au Luxembourg...
C'est pour cela que nous voulions être sûrs d'une bonne technique avant d'attaquer la programmation. Nous avons eu la chance incroyable de faire la connaissance de Hermann Schurremanns, le grand organisateur d'événements comme Rock Werchter ou le Pukelpop qui nous avait contacté un jour, spontanément, parce qu'il avait entendu parler de Den Atelier. Nous l'avons alors re-contacté à cette occasion-ci et engagé son production manager, ce qui constitue une aide énorme. Il nous organise la scène, la technique, les cuisines et mêmes l'équipe de sécurité qu'il utilise pour Rock Werchter. Ainsi, nous avons une garantie que de ce côté-là, tout va fonctionner.
Avec Raquel Barreira, Sublama, Tiger Fernandez et Low Density Corporation vous avez aussi prévu quatre formations luxembourgeoises auxquelles il faudrait peut-être ajouter les films du projet Cornelius (voir d'Land 31/01)...
Les Cornelius sont vraiment notre coup de coeur, ce que font ces jeunes créatifs est vraiment hors du commun. Ils nous feront deux films qui seront projetés entre Hooverphonic et Morcheeba et entre Morcheeba et Placebo, nous venons d'en voir les premiers bouts et je crois que ce sera vraiment bien. En ce qui concerne la musique, il était pour nous clair dès le début que nous voulions aussi des groupes locaux, le problème était d'en trouver qui soient disponibles durant les vacances scolaires... Mais je crois que ceux que nous avons retenus sont vraiment à la hauteur de l'événement.
Justement, côté rock luxembourgeois, il y a un événement open-air qui lui fait la part belle, c'est Rock um Knuedler à Luxembourg. Comment vous situez-vous par rapport à eux, mais aussi par rapport à la Kulturfabrik, qui était déçue que la bourgmestre Lydia Mutsch soit allée chercher des programmateurs à Luxembourg, alors que eux aussi ont désormais un certain niveau de compétence et d'expérience ?
Nous avons entendu parler des grincements de dents des deux côtés, qu'on nous reproche par exemple aussi de ne pas être Eschois. Mais nous, ce festival, nous l'aurions fait n'importe où, même à Weiswam-pach s'ils nous l'avaient proposé. Lydia Mutsch a le grand mérite d'avoir pris l'initiative et trouvé une large majorité politique pour l'idée d'un tel festival. Esch est une ville très intéressante en ce moment, une ville en pleine expansion, qui est sur la bonne voie pour devenir l'épicentre de la culture alternative, la bourgmestre a compris qu'un tel festival leur apportera un gain en image1. Et pour nous, Esch est un terrain vierge où tout est possible.
1 Voir aussi notre entretien avec Lydia Mutsch sur la politique culturelle de la ville d'Esch sur www.land.lu.
Dimanche 9 septembre, les portes du Stade Emile Mayrisch ouvriront à midi, le festival durera jusqu'à une heure du matin. Joueront, dans l'ordre : Raquel Barreira (13h15), Sublama (14h30), Tiger Fernandez (14h45), Low Density Corporation (15h30), Reamonn (16h30), Madrugada (18 heures), Hooverphonic (19h30), Morcheeba (21 heures) et Placebo (22h45). Pour plus d'informations, par Internet : www.atelier.lu ou www.terres-rouges.lu