d'Lëtzebuerger Land : Le week-end dernier ont eu lieu les demi-finales du concours de talents rock Emergenza1 à la Kulturfabrik, organisé par Get up music. Pour la scène de rock luxembourgeoise, ce concours est très important, parce qu'il remotive les musiciens, qu'il leur donne une occasion de se produire dans un cadre assez organisé, devant un public nombreux - 1 400 personnes en deux jours ! Qu'est-ce que ce « festival » représente pour vous, à la Kulturfabrik ?
René Penning : D'abord une entrée d'argent : nous louons la salle à Get Up, nous sommes bien obligés de rentabiliser nous installations. Mais au-delà, je considère qu'il est essentiel que nous programmions un maximum de groupes luxembourgeois, que nous leur offrions les meilleures conditions possibles - sonorisation, lumières, grande scène - dont ils ne disposent pas toujours pour leurs concerts.
Emergenza n'est pas tout, le festival a aussi ses défauts, beaucoup de groupes existent à côté, ne veulent peut-être pas y participer. Mais néanmoins, je crois qu'effectivement, ce concours avec toute l'attention médiatique et publique qui lui revient, a déclenché une véritable dynamique. Lors des concerts, il y a des contacts qui se nouent, des groupes venus de tout le pays et des organisateurs se rencontrent, des idées de concert naissent, des programmateurs de différentes salles échangent des idées... En plus, cette motivation des groupes s'entend, il y a une réelle progression dans leur jeu entre deux tours.
En fait, la Kulturfabrik a un lien assez naturel avec le rock et surtout les « jeunes » groupes, nombre de formations ont commencé ici. Vous venez de publier la liste des groupes qui bénéficient d'une salle de répétitions chez vous, dans le tract central nouvellement rénové, une sélection qui va de DefDump, très lié à l'histoire de la Kufa, à des formations plus récentes comme Tiger Fernandez, finaliste d'Emergenza. Comment les avez-vous sélectionnés ?
Nous avons cinq salles de répétitions que onze groupes se partagent. Les critères de sélection furent multiples ; en fait, durant les années de rénovation, plein de groupes intéressés déposaient une demande, nous avons pris les plus jeunes d'une part, ceux qui semblaient les plus passionnés, prêts à s'investir pleinement dans leur musique, et de l'autre, des groupes traditionnellement implantés à la Kufa, comme DefDump et Desiderata. Nous ne voulions surtout pas de quadragénaires qui cherchaient à faire cela en hobby, mais des jeunes qui veulent réussir.
Quelles sont les conditions du marché ? Comment est-ce qu'ils payent et qu'est-ce que vous leur offrez en échange ?
Nous aimerions créer un véritable label Kulturfabrik, éditer un CD de promotion avec des titres de nos groupes que nous pourrions distribuer, surtout aux organisateurs de concerts étrangers qui nous demandent souvent de leur recommander des formations locales. Et puis, peut-être qu'à moyen terme, nous pourrons aussi les aider à organiser une tournée en profitant de nos contacts. En ce qui concerne les salles, ce que nous leur offrons pour 7 000 francs par groupe et par mois, est d'un niveau de qualité assez élevé par rapport à ce qu'ils connaissaient : nos salles sont propres, chauffées et insonorisées.
Tu es en charge de la programmation de concerts rock à la Kufa. Comment est-ce que tu programmes ? Quels sont les critères pour passer tel groupe plutôt que tel autre ? Est-ce que vous surveillez les goûts du public par exemple ?
D'abord, les frontières entre genres musicaux sont perméables, il se peut tout à fait que Jhang Kayser, responsable plutôt de la world-music, programme un concert de rock et moi un concert de musique folk... Moi, je n'ai qu'un seul critère d'exclusion : je ne programme pas de groupes ou de genres musicaux qui sont out - ceux qui ont connu leur heure de gloire dans les années 1980 ou 1990, non merci. Ce qui m'intéresse, c'est de suivre les tendances les plus actuelles, et là, nous sommes alors très éclectiques, cela peut aller de musiques électroniques au heavy metal. C'est une approche très exigeante, parce qu'il faut s'informer beaucoup, être toujours à l'écoute de ce qui se produit en musique.
J'aime beaucoup prendre des risques, mais toujours selon le principe « profit for non-profit » : si on veut faire un concert plus avant-gardiste, moins commercial, il faut rééquilibrer le budget de l'autre côté avec des groupes qui garantissent des guichets fermés. Lorsqu'on me propose un groupe très cher, je vais quand même d'abord sonder un peu le terrain, aller voir si cela se vend dans les magasins de disques par exemple.
Puis, en parallèle, je suis très content de notre collaboration avec le label Own Records, qui représente un tas de groupes de la région, et qui nous aide à assurer une programmation de musiciens locaux dans la petite salle ou au Ratelach et complète ainsi l'offre musicale.
Qui est votre public ? Est-ce que ce sont toujours les mêmes inconditionnels ou est-ce que cela change avec chaque concert ?
En général, notre public est constitué à 30 voire 40 pour cent d'étrangers - parfois des bus entiers qui viennent de Trèves ou de Bitbourg - sinon, nous ne pourrions pas fonctionner. Les Luxembourgeois sont souvent plus réticents à se lancer, moins curieux à aller voir des groupes qu'ils ne connaissent pas. De vrais freaks, qui viennent tout voir, il y en a, mais ils sont assez rares. Le public est libre et très indépendant, les gens viennent uniquement écouter ce qui leur plaît.
Comment est-ce que vous vous positionnez par rapport à Den Atelier à Luxembourg-ville et par rapport à la future Rockhal, qui sera construite à quelques kilomètres d'ici ?
Il y a tellement de groupes sur le marché que nous n'allons pas commencer à nous battre pour les avoir. Je ne vois pas vraiment de concurrence par rapport à Den Atelier, ils ont deux années d'expérience de plus que nous, la Kulturfabrik n'a repris sa programmation qu'il y a trois ans, alors qu'eux, rue de Hollerich, ils font cela depuis cinq ans. On a chacun nos contacts, donc je ne crois pas que nous soyons en concurrence. Depuis février, nous avions une dizaine de concerts par mois, je crois que c'est notre limite, nous ne pouvons pas faire beaucoup plus, car chaque concert représente un effort d'organisation et de publicité énorme.
En ce qui concerne la future Rockhal, je crois que la situation est encore différente, parce que ce sera une salle d'une capacité largement au-dessus de la nôtre. Nous avons mille places, et devons parfois refuser des groupes qui ont un potentiel de public plus important. Ce serait bien d'avoir enfin une salle appropriée. Je fais partie d'un groupe consultatif de l'asbl de musiciens Backline !, donc je suis l'évolution du dossier de très près. Pour moi, l'essentiel de cette salle est un bon concept, une bonne équipe de programmateurs pour que ce lieu vive. Un bâtiment livré clé en main à un gérant ne servirait strictement à rien.
1La finale d'Emergenza aura lieu le 23 mai à la Kulturfabrik, avec les finalistes Blue Room, Chaos am Re, GTP, Infinity, Serenity, Sonic Season, Syrinx, Tiger Fernandez, Vertical Smile. Pour plus d'informations : www.emergenza.lu, www.backline.lu ou www.kulturfabrik.lu