A. Les acteurs
Pour pouvoir soigner un tant soit peu son Violon d'Ingres notre rockeur aura besoin de deux choses : d'un local pour répétitions et d'une salle pour concerts.
1. un local pour répétitions
Comme nul coin de notre pays ne pourra prétendre être immunisé contre le genre culturel ici rapporté, ces salles de répétition devront être équitablement réparties à travers le pays proportionnellement à la concentration démographique. Cette démultiplication géographique me semble être un point essentiel. En effet, quel sportif par exemple serait prêt à se déplacer quarante kilomètres et plus pour rejoindre son lieu d'entraînement, et ceci sans aucun dédommagement pécuniaire ?!
Aussi, incitées par les ministères concernés, les communes veilleront après concertation au niveau régional, à mettre à disposition des jeunes (et moins jeunes) musiciens des locaux désaffectés après les avoir restaurés et adaptés techniquement à leur nouvelle destinée. Dans un dessein de rationalité et d'économie une même salle pourra (ou devra) être utilisée en commun par plusieurs groupes. Notons encore qu'il sera primordial de responsabiliser les jeunes concernés en définissant un mode de cogestion les faisant participer pour une part adéquate aux frais grevant l'exploitation de pareil emplacement.
2. une salle pour concerts
Pour pouvoir présenter le produit des nombreuses répétitions à leur public, nos artistes auront besoin de locaux rendant possibles pareilles rencontres, et ceci dans des conditions telles qu'un maximum de confort acoustique et matériel fidélisera acteurs et auditeurs à ce genre d'échanges culturels. À nouveau, la proximité géographique du lieu de ces rencontres jouera un rôle considérable. Le « consommateur » de concerts, souvent indécis le jour même de sa sortie en boîte, appréciera en effet la faible distance le séparant de son lieu de distraction choisi.
Aussi, pour répondre à pareille aspiration, faudrait-il que plusieurs emplacements dans différentes régions du pays correspondent aux critères requis pour mener semblables organisations à bon terme. Notons au passage que ce ne sont pas les bâtisses à caractère culturel qui nous manquent, mais hélas, aucune d'entre elles ne ferait bonne figure, si nous les sondions pour y trouver les commodités auditives recherchées. Aux responsables d'en choisir l'une ou (et) l'autre et de la (les) rendre « convenable(s) » afin d'y obtenir l'effet convoité.
En plus, comme le nombre d'auditeurs se déplaçant pour les concerts de groupes nationaux varie entre quarante et mille personnes, il serait souhaitable que les salles en question présentent un caractère modulable, ceci afin de favoriser l'ambiance conviviale de telles manifestations.
Voici sommairement décrits les besoins en infrastructures somme toute abordables de nos rockeurs(ses). Passons maintenant, pour mieux situer le problème, à l'état des lieux rencontré sur le terrain. Nous reprendrons le même schéma avec les points 1 et 2 mentionnés plus haut.
1. Salles de répétitions
Suit le compte rendu d'un sondage que nous avons réalisé à l'aide d'un questionnaire envoyé à nos membres au sujet de leurs propres expériences concernant les salles de répétition.
- Nombre moyen de musiciens par groupe : 5,2
- Moyenne d'âge : vingt pour cent se situent dans la tranche d'âge des quinze-vingt ans
30 pour cent de 20 à 25 ans
10 pour cent de 25 à 30 ans
40 pour cent ont plus de 30 ans
- 70 pour cent de nos musiciens exercent une profession
- 95 pour cent disposent d'un local de répétition (chambre, garage, grenier, cave, café, ...)
- 80 pour cent de ces locaux ne sont pas insonorisés
- trente pour cent n'ont ni chauffage ni aération
- quarante pour cent présentent des problèmes d'ordre technique (insuffisance en alimentation électrique ou oscillations néfastes dans le débit du courant, désagrément dû à l'humidité, non-respect des normes de sécurité, etc...)
- 35 pour cent des musiciens concernés endurent des problèmes de voisinage (voire des démêlés avec la police) lors de leurs répétitions
- 25 pour cent d'entre eux paient un loyer pour leur salle de répétition se situant entre 2 000 et 8 000 francs par mois
En moyenne notre artiste devra se déplacer quarante kilomètres pour se rendre à son « entraînement » ceci expliquant peut-être cela : le groupe répétera une à deux fois par semaine et cela durant deux à trois heures. 55 pour cent des musiciens souhaiteraient de meilleures conditions de répétitions.
Notons que ce sondage, réfutant toute prétention exhaustive, se fonde sur les informations recueillies auprès de trente groupes. Ce constat une fois établi, nous en déduiront :
- nous avons affaire à un genre de musique (culture) ne connaissant pas de limites d'âge
- sa pratique nécessite un support financier conséquent, vu le matériel, la mobilité et les frais de location éventuellement engagés
- il y a une inexistence presque totale de conditions de répétition idéales et ce à travers tout le pays
- le manque d'insonorisation des pièces en question entraîne un nombre élevé d'altercations avec le voisinage
- aussi le nombre de problèmes rencontrés et les conditions de pratique souvent inadaptées ne permettront pas d'atteindre la qualité musicale recherchée et démotiveront à la longue plus d'un de nos jeunes prodiges en herbe !
2. Salles de concert
Hormis une vingtaine de cafés et brasseries-disco (capacité de cinquante à 300 personnes) ne se prêtant pour la plupart absolument pas, de par leur conception architecturale et acoustique, à l'organisation de concerts pop, nous trouverons dans le pays quelque 200 salles se prêtant à diverses formes de spectacles. Parmi celles-ci, 34 auront une capacité de plus de 500 personnes dont sept pouvant recevoir au-delà de 1 000 spectateurs. De ces chiffres nus d'aucuns pourraient déduire que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes rockeurs possibles, hélas la réalité est toute autre.
En effet 99 pour cent (en espérant qu'il y en ait un qui m'échappe), de ces emplacements n'auront nullement la vocation à abriter un concert pop-rock sous les conditions requises pour ce genre d'événements. Les quelques rares fois où les dispositions acoustiques seront satisfaisantes (par exemple à l'Atelier à Luxembourg ou la Kulturfabrik à Esch), la salle péchera soit par ses critères d'implantation dans l'agglomération ou/et sa capacité d'accueil réduite à entre 1 000 et 1 200 personnes.
Aussi je ne m'attarderai plus, ni à récapituler avantages et (surtout) inconvénients des différents centres culturels et halls sportifs en question, car ceci a été le sujet d'une étude réalisée sous les auspices du ministère de la Jeunesse en mars 1996, ni à relancer les sempiternelles discussion sur la nécessité ou pas d'une Rockhal, mais je rappellerai simplement que pris dans cet engrenage de quiproquos culturello-barockoko-financiers, plusieurs centaines d'artistes créateurs et beaucoup plus de consommateurs potentiels, friands de ce genre d'expression culturelle, se sentent laissés-pour-compte dans leur modeste requête d'infrastructures raisonnables pour leurs loisirs culturels.
Une fois ce constat établi, délaissons l'aspect « loisiro-culturel » de notre chagrin, pour le considérer sous un angle socio-psychologique. En abordant cette thématique je songerai en particulier à la tranche d'âge de nos rockeurs (musiciens actifs) se situant entre quinze et 25 ans. En effet, c'est pendant cette période qu'un être humain forgera son tempérament, qu'il cherchera ses marques dans la société et qu'il développera son goût ou dégoût pour toutes formes de relations humaines. Plus il trouvera de moyens d'articuler et d'exprimer sa révolte et sa passion, plus il se sentira bien dans sa peau.
La musique, tous genres confondus d'ailleurs, sera un moyen parmi d'autres de canaliser ses pulsions et de trouver sa place dans la communauté. Mais plus qu'un « vulgaire » sportif (lire : « ordinaire » sans aucune connotation péjorative), qui dans son effort solitaire recherchera la confirmation de son Moi dans des activités égoïstes, notre artiste musicien, lui, aura besoin des autres pour revigorer son amour-propre.
Alors donnons-lui les moyens qu'exige sa soif de convivialité : arrangeons un hangar délaissé, rafistolons une grange abandonnée, reconsidérons la destinée d'un vétuste entrepôt oublié ...alors, et alors seulement, les décideurs politiques auront démontré leur volonté de prendre au sérieux les sensibilités d'une tranche oh combien importante de la jeunesse de ce pays si riche en potentialités culturelles qui ne requièrent qu'à être stimulées.
Si, et ce serait aberrant vu les moyens financiers éloquents dont dispose le Grand-Duché, si donc la timidité décisionnelle des responsables gestionnaires n'était due qu'à l'aspect pécuniaire de la question, on pourrait entrevoir nos rêves « culturello-musicaux » sous de meilleurs auspices !?
En effet, pas besoin d'être un économiste aguerri pour évaluer à sa juste dimension les potentialités économiques que renferme une telle activité musicale exigeant un apport matériel des plus coûteux. À une époque, asphyxiée par une logique capitaliste universelle, où tout investissement public ou privé sera soumis à une impassible évaluation économique, il serait incompréhensible de laisser en friche ce marché regorgeant d'un potentiel mercantile aux retombées économiques bien séduisantes.
Voilà sommairement rappelées les raisons humaines et matérielles, qui devraient plus que dans le passé, inciter nos responsables politiques à tendre l'oreille aux lamentations de ces centaines de jeunes gens qui, malgré le « bruit » qu'ils font de temps à autre, ne se sentent pas entendus dans la justesse de leur propos.
B. Les consommateurs
L'aspect purement national (lire : concerts donnés par des musiciens résidents luxembourgeois) de cette question ayant déjà été élucidé en partie sous A), nous ne nous attarderons donc plus qu'aux spectacles mettant en scène des artistes internationaux.
Pour mieux cerner notre approche en ce domaine, reprenons le document de travail élaboré par le ministère de la Jeunesse en mars 96 et laissons-nous inspirer par le langage des chiffres rapportés dans ce document.
Pour mémoire : l'année servant d'arrière-fond à cette étude était culturelle, donc exceptionnelle quant à sa résonance commerciale et publicitaire. Aussi allons-nous considérer uniquement les chiffres épurés de l'apport des « méga-événements » (Rolling Stones, Carreras, concerts dans le cadre de la Zeltstad) qui auront eu un rapport trop direct et évident avec cette organisation culturelle hors du commun.
Le nombre de spectateurs répertoriés le sera sur la base des 32 spectacles retenus à cet effet.
Tout en retenant les affluences (en salle) minimales de 200 personnes et maximales de 7 500 (chiffre correspondant à trois séances de Phantom of the Opera) nous constaterons :
- la moyenne par concert/spectacle se situera à 2 244 personnes
- trois spectacles indoor auront attiré 5 000 personnes, voire plus en plusieurs séances (plus ou moins dix pour cent)
- treize concerts auront connu une audience entre 200 et 1 000 spectateurs (+/- 45 pour cent)
- sept concerts entre 1 000 et 2 000 spectateurs (+/- vingt pour cent)
- neuf concerts entre 2 000 et 5 000 spectateurs (+/- 25 pour cent)
Ces chiffres démontrent l'utilité et la nécessité de la future Rockhal, qui, avec une capacité maximale de 5 000 personnes, serait plus ou moins bien remplie une dizaine de fois par an !
Ceci prouve, s'il était encore nécessaire, que, et cette salle devra absolument être modulable vu « l'hospitalité » à accorder aux « petits » concerts plus fréquents que les « gros », et elle devra être un lieu de rencontre permanent ouvert à toutes les cultures. Ces deux conditions pourront justifier l'importance des moyens financiers consacrés à ce projet.
Patrick Schank est membre du conseil d'administration de l'asbl backline ! qui regroupe une majorité des groupes de musiques amplifiées au Luxembourg. Pour plus d'informations sur backline ! : www.backline.lu