En guise de présentation de l'état des lieux des musiques amplifiées rappelons que l'année 1980 est à considérer comme une année charnière pour la musique pop au Luxembourg. Cette année fertile en concerts mémorables, où défilèrent une ribambelle d'artistes mondialement connus, fut celle de la prise en compte définitive de la culture pop en tant qu'un incontournable phénomène de société. Loin de démériter, la période des sixties et seventies aura elle déjà vu l'éclosion d'un nombre de groupes autochtones. L'histoire retiendra que pas moins de 240 groupes auront vu le jour entre 1959 et 1988 au Grand-Duché et qu'environ 300 enregistrements seront matière à productions musicales (disques, K7, CD).
L'année 1995, elle, sera de toutes les cultures. Maints défis relevés et menés à bons termes, feront de cette année un véritable tremplin pour la culture rock et ses dérivés dans notre pays.
Depuis cette année-là, et en dépit de percées indéniables au niveau de la sensibilisation politique, la véritable acceptation culturelle ainsi que la dotation en infrastructures adéquates n'ont, quant à elles, pas suffisamment progressé sur le fond.
Les réponses apportées par les pouvoirs publics restent pour l'instant parcellaires et isolées. Comme les musiques amplifiées, sont bel et bien l'un des piliers de notre culture, l'État et les communes se devraient de stimuler le dialogue entre pratiques amateurs et les différents intervenants dans ce domaine. Les enjeux et les spécificités sont de tailles, et l'essor de la musique amplifiée est au coeur du phénomène de la « musicalisation de la société ».
Force est de constater qu'à long terme, la bonne volonté et l'enthousiasme dont font preuves diverses associations ne pourront continuer à assumer par la seule force de leur passion une responsabilité sociétale voire citoyenne, donc collective.
C'est un fait qu'il existe, depuis des années, une vraie scène de musiques amplifiées au Luxembourg. Ceci se traduit, d'un côté, par un intérêt indéniable de la part d'un public de plus en plus nombreux ainsi qu'une motivation extraordinaire des musiciens et, d'autre part, par un important aspect financier et commercial.
En effet, l'investissement pour un « premier » parc de matériel utilisé par un jeune groupe de cinq musiciens peut être estimé à plus ou moins 500 000 francs. En considérant plus ou moins 400 jeunes musiciens actifs, on arrive à un chiffre d'environ 40 millions de francs dépensés rien que pour l'ossature matérielle.
Ne sont pas inclus dans ce chiffre l'achat d'une sonorisation (micros, table de mixage, haut-parleurs, platines etc.), ni l'argent investi par les groupes « établis », les Dj's, les orchestres de danse ou celui dépensé pour la fréquentation de cours de musique.
En outre, on peut estimer le nombre d'heures de répétitions réalisées par un jeune groupe sur une année, et ceci en dehors des écoles de musique, à plus de 300. Dans ce contexte il faut absolument remarquer que les espaces appropriés pour ces répétitions manquent cruellement. Par ailleurs on doit savoir que plus de 800 jeunes musiciens sont inscrits dans des écoles d'enseignement musical privées (les chiffres repris à titre indicatif).
Le rock, la pop, la techno, le rap, le rai, le jazz, le blues etc. sont des tendances musicales et tout un chacun a la liberté de choisir celles qui lui conviennent le mieux. La musique, quant à elle, n'a pas d'âge ni de couleur politique. L'émergence des musiques actuelles témoigne à la fois d'une prodigieuse vitalité culturelle, mais aussi d'attentes spécifiques des musiciens et d'un public vis-à-vis desquelles les pouvoirs publics se doivent de réagir avec des moyens d'action appropriés.
Un autre volet très important sera l'approche organisationnelle de toute manifestation de musique amplifiée au Grand Duché de Luxembourg. Les instances culturelles responsables devront soutenir, encourager et superviser ces activités. Ce sera à l'aide de mesures d'accompagnement indispensables, courageuses et innovatrices qu'on arrivera à dynamiser l'apport culturel étatique qui fait souvent défaut.
Tout en restant dans le domaine des doléances organisationnelles, relevons également le manque évident de lieux de spectacles appropriés pour ce genre de manifestations. Le projet d'insérer une salle de spectacles dans un contexte d'aménagement d'une friche industrielle est un projet et un défi formidable qu'il convient de soutenir et d'encourager.
Pour pourvoir à ces différents besoins, une commission (une cellule) nationale devrait être mise en place. Sa mission serait :
1. d'établir des structures qui encouragent la création, la production et la mise en valeur de talents.
2. de créer dans ce contexte un cadre légal visant à favoriser la création musicale et la préparation aux métiers de musicien, d'arrangeur, de parolier, d'auteur-compositeur, de producteur, d'organisateur, de manager, d'agent, de sonorisateur, d'éditeur, de distributeur etc. ceci afin de permettre aux jeunes l'épanouissement dans une carrière professionnelle du domaine des musiques amplifiées.
3. d'encourager la création de nouveaux espaces de pratique et de formation, ainsi qu'une nouvelle approche pédagogique.
Un autre problème restera l'exportation de notre production musicale. S'agissant d'un problème assez complexe et spécifiquement luxembourgeois je vais me contenter de vous donner un bref aperçu : Dans un petit pays de 450 000 habitants comme le Luxembourg, la concurrence « normale » entre musiciens n'est pas énorme. Tout le monde connaît tout le monde, chacun sait plus ou moins ce que l'autre fait. Certaines rivalités et jalousies sont de bonne guerre, mais on ne peut certainement pas prétendre que beaucoup exagèrent au niveau de la créativité ou de l'innovation. Je n'en apprendrai à personne en prétendant qu'il existe un formidable vivier de très bons musiciens et musiciennes. Des talents qui connaissent certes le maniement de leurs instruments, mais malheureusement pas suffisamment les exigences des différents métiers artistiques Parmi tous les artistes doués et de bonne volonté il faudra choisir les meilleurs, les encadrer, et les encourager à « l'exil ». Mais une fois qu'ils seront à l'étranger comment font-ils pour se débrouiller et avec qui ? La question reste posée.
Elle restera posée aussi longtemps que les groupes ou les artistes luxembourgeois n'arriveront pas à se décider entre la pratique en amateur ou en professionnel. Les deux approches sont tout à fait permises, mais laquelle choisir ? Dans un des pays les plus riches du monde, il est compréhensible qu'on ne veuille faire sa vie... en chantant. Encore que... !
Jusqu'à présent, et ceci pour différentes raisons, très peu ou trop peu de musiciens luxembourgeois ont osé s'évader du confort de leurs quatre murs. Personnellement, je suis convaincu que le premier groupe luxembourgeois qui arrivera à percer entraînera non seulement dans sa foulée beaucoup d'autres artistes, mais également et surtout un changement fondamental de mentalités.
En France, en Allemagne, en Belgique, le musicien peut, s'il en a envie, se renseigner auprès de différentes institutions et associations pour avoir les informations dont il a besoin s'il veut exercer la profession de musicien. Il en est ainsi pour tous les autres métiers se rapportant à la création musicale. Au Grand-Duché, ces métiers et associations n'existent pas ou à un stade sous-développé, en tout cas nullement professionnels.
Notons encore que l'exportation de notre musique passera inévitablement par des coproductions régionales. Dans un contexte de mondialisation, il est impératif que nos régions s'unissent pour travailler ensemble.
Alors conjuguons nos talents, laissons tomber nos egos, sinon les compresseurs médiatiques et économiques nous écraseront et nous allons devoir tous mettre la clé sous le paillasson. Il ne faut pas se faire d'illusions, le monde est ce qu'il est et on ne va plus essayer de le refaire, il est trop vieux déjà.
Il n'est pourtant jamais trop tard pour bien faire et nous nous devons de réagir très vite pour mettre en oeuvre, non seulement, des structures pouvant gérer toute la problématique de la musique amplifiée luxembourgeoise, mais également de profiter de la richesse multiculturelle dont dispose notre pays.
Roger Hamen est depuis 35 ans acteur et observateur de la scène pop-rock luxembourgeoise et président de l'association de musiciens backline ! Avec quelque 400 membres, dont 95 pour cent sont musiciens, l'asbl peut être considérée comme représentative ; Internet : www.backline.lu