La trajectoire de ladite « salle de musique pour jeunes » ou « Rockhal » continue d'osciller entre les thèmes It's all over now Baby Blue (Bob Dylan), Move over (Janis Joplin) et Electro LuxImbroglio (Steve Miller Band), le dernier des trois thèmes étant actuellement le premier au hitparade de la soap politique autour du projet de Belval.
Curieux tout de même qu'une autre salle de concerts - pour musique classique celle-là - dont une grande partie du PCS ne voulait pas, a vu son budget passer de deux à 3,2 milliards et verra prochainement son chantier débuter, tandisque de l'autre un maigre hangar pour concerts rock au budget dérisoire de 300 millions - et voté unaniment au parlement il y a exactement deux ans - fait toujours l'objet d'un imbroglio exaspérant.
Lorsque les Verts avaient déposé, le 5 décembre 1996 à l'occasion du vote parlementaire du musée controversé dit « musée Pei », une première proposition de loi sur une fondation « Janis Joplin » susceptible de mettre sur la scène le projet Rockhal, ils ne l'avaient pas seulement fait comme geste symbolique mettant à nu les priorités et les oublis de la politique gouvernementale. Dans l'exposé des motifs de l'époque l'on a pu lire:
« D'abord il échoit, avant toute construction, de définir les objectifs d'un espace rock. Différentes op-tions sont possibles :
* S'agira-t-il d'un simple grand hangar, fermé de jour et ouvert sporadiquement pour les quelques heures de concerts nocturnes ?
* Pourra-t-il être conçu comme un espace multidimensionnel, englobant des espaces destinés à des spectacles de dimensions diverses ?
* Ou peut-on également concevoir l'espace rock comme un lieu de création et de vie, avec outre une ou des salles de spectacles des lieux de création, de répétition, d'information, d'exposition, de villégiature, d'animation en plein air, etc. »
L'on peut déplorer le fait que dans notre pays, bien souvent, l'on s'acharne à vouloir construire quel-que immeuble abritant des activités culturelles avant d'avoir développé une idée claire et précise sur la for-me des activités et surtout sur la responsabilité des différents acteurs dans la gestion du site. Cinq ans après, le débat sur le contenu d'une importante infrastructure culturelle n'est pas organisé sous les auspices des instances officielles responsables - en l'occurence le ministère de la culture - mais par la journaliste culturelle de cet hebdomadaire. Culture du dialogue par le bas, diraient les optimistes. Manque d'intérêt pertinent, constatent les autres au vu d'un moratoire - qui n'en serait pas un, comme nous l'enseigne la ministre.
À lire les contributions antérieures émanant de personnes beaucoup plus proches du terrain qu'un chroniqueur culturel ou un homme politique, on serait amené à douter de l'utilité de la fameuse « salle de musique pour jeunes ».
Consommation ou création?
Les questions soulevées par Patrick Schanck (d'Land du 2 mars 2001) sont évocatrices à maint égard. Cer-tes, il ne faut perdre de vue que la musique rock est, malgré ses fortes connotations collectives et associatives, avant tout une activité fortement imbibée de rêves égocentri-ques. Le rêve de chacun de ces grou-pes plus ou moins amateurs est d'êt-re reconnu à sa juste valeur par un public aussi nombreux que possible. L'on ne peut donc pas réduire l'espace imaginaire des rockeurs à des garages ou ateliers transformés en salle de répétition. La création suppose une diffusion, un public, un ou des lieux publics. Est-ce que l'idée de construire une « très grande salle de musique rock » est incompatible avec l'impératif d'une décentralisation et une mise en valeur de la création face à une consommation passive ? Sans doute pas, mais il s'avère de plus en plus que le seul objectif de faire ériger un palais des sports acoustiques aboutit à faire atterrir un éléphant blanc dans le tissu riche et diversifié d'une culture locale.
Si l'on veut donc donner quelque sens à cette infrastructure dépassant la simple vocation de lieu de divertissement, il y a lieu d'étudier plus en profondeur la sociologie du rock dans notre pays et dans la région pour arriver à la fois à un bon équilibre régional et à une reconciliation entre création et consommation.
Le rock est-il soluble dans le mainstream ?
Josée Hansen a évoqué l'argument que la réticence des pouvoirs publics devant la musique rock « orpheline » se basait sur le caractère contestataire de ce genre de musique. Ce n'est peut-être pas tout à fait faux, mais il faut néanmoins constater qu'à au-cun moment de sa brève histoire de-puis les années 50, la contestation n'a été la caractéristique première du rock. Cette vocation a été plus présente dans la chanson, le folk et le jazz, où les coryphées ont pour le moins soigné une attitude critique par rapport à la société tandis que beaucoup de vedettes du rock ont rapidement changé l'agressivité de motard contre des Rolls Royce plaqués or.
Le rock « arrivé » appartient dès lors au mainstream de notre société, comme le montre l'accueil réservé aux Stones ou à Bon Jovi par la classe politique. Les territoires pionniers du rock actuel, comme le rap, le hiphop ou certaines formes périphériques de rock ethnique, sont en fait les seuls qui restent suspects aux pouvoirs en place. Pour cette raison, on les a déboutés de la place publi-que vers l'îlot autonome du Schluëchthaus. Les groupes d'étudiants dans les garages, la scène autonome à l'abattoir, les bobos (bohémiens-bourgeois) dans la salle rock, voilà un aménagement du territoire rock susceptible de plaire aux pouvoirs publics. Les purs et durs d'une mu-sique jeune et contestataire pourraient donc parfaitement se passer d'un lieu de rassemblement central qui tôt ou tard risque de dériver dans les eaux paresseuses d'un mainstream pop et commercial. Donc pas de « Rockhal » pour les véritables accrochés du rock ? Mais, une nouvelle fois, pourquoi ne pas concilier la création et la consommation ?
Rock City
Si l'on veut tirer tant soit peu le bilan de l'itinéraire malencontreux de la salle de rock, l'on est amené à imputer la responsabilité de cet échec à un manque de concept dans l'appréciation générale des besoins et à un manque de rigueur dans l'affinage des détails techniques et politiques.
Je n'hésiterais toutefois point à qualifier le projet pas tout à fait défunt d'un espace rock comme une chance intéressante pour un espace évolutif utilisant le créneau rock pour mettre en oeuvre une conquête, du moins partielle, de la friche Belval par une culture alternative au main-stream.
On devra donc impérativement, avant qu'il ne soit trop tard, se rallier aux propositions de Roger Hamen (d'Land 5 avril 2001) qui propose la création d'une commission nationale du rock dont les missions seraient les suivantes : établir des structures de coordination, créer un cadre lé-gal pour la création musicale et encourager la création de nouveaux espaces de pratique et de formation. Un de ces espaces, mais non l'uni-que pourrait être une « Rock City » à Belval. L'idée que Eric Falchero déduit du constat « Ët boomt an der Szeen » et qui consiste à établir un « Rockbüro » au service des jeunes musiciens et musiciennes, rejoint également cette stratégie plus globale pour un espace plus cohérent.
Pour ce qui est de ce site phare Belval, le concept que l'association Backline ! a soumis à Mme Hennicot-Schoepges en octobre dernier (www.backline.lu/rockhal_project) dé-passe également la simple construction d'une salle modulable, mais mi-se sur un véritable centre de création et de diffusion de musiques rock - infrastructures de gestion, ateliers et salles de répétition, studio d'enregistrement inclus.
Dans cette optique, il ne faut pas tomber dans le piège d'applaudir une décision rapide sur une salle nouvelle, modulable et multifonctionnelle, mais dont le véritable backstage vital pour une créativité cohérente et soutenue fera défaut et qui se limite à une simple salle de spectacles. Non, il faut que les musicien-ne-s d'abord, mais également le public, insistent sur cet espace plus vaste, plus créatif, plus susceptible d'engendrer une dynamique évolutive pour l'avenir, bref une véritable citadelle des musiques amplifiées, à l'instar de la « cité des sciences » : Rock City !
Soufflantes essoufflées ?
Evoquons en dernière instance le débat sur l'emplacement de la future salle de spectacles ou de l'espace rock. Il faut relire les discours quel-que peu solennels qui proliféraient lors du débat sur la loi de construction de la Rockhal. C'est précisément l'opportunité unique de pouvoir utiliser la magnifique cathédrale industrielle de la halle des soufflantes qui avait fasciné les jeunes et moins jeunes député-e-s et avait me-né à un consensus général dans la plénière de l'assemblée. Ce n'est donc pas tout à fait étonnant que d'aucuns se montrent quelque peu contrariés par les plans de Michel Wolter de sortir l'espace rock du hall de soufflantes pour le délocaliser en une construction nouvelle située sur une future « plaza » centrale de la terrasse des hauts fourneaux en face du ciné Utopia.
Mais arrêtons-nous ici. On est de nouveau au beau milieu d'une discussion sur l'importance future de la terrasse dite « culturelle » de Belval. Face aux projets de lotissement et d'implantation d'entreprises, cette facette du développement de la friche se trouve actuellement éclipsée. Il n'y a que l'Utopia qui semble bien implanté, la « cité des Sciences » restant une écorce de slogans sans contenus précis, et le hauts fourneaux... - on n'en parle plus tellement, n'est-ce pas ? Il serait utile que le monde socio-culturel, dans son ensemble et suivant ses intérêts spécifiques, se manifeste à plus vive voix pour que le rock ne soit pas enfermé dans une salle de spectacles, mais retrouve toute cette liberté d'expression et cet esprit de créativité qui seraient tellement bé-néfiques pour le déploiement des jeunes et des moins jeunes.
L'auteur est député de déi Gréng et auteur de deux propositions de loi sur une structure de gestion de la future « Rockhal » sous l'enseigne de la défunte rockeuse Janis Joplin. Il anime une émission d'ethno-rock et world music sur Radio ARA (programme sous www.ara.lu/playlist/malinyé).