Laurent Bayle prend la parole, souhaite la bienvenue à l’orchestre, rappelle qu’il a eu, l’année dernière, l’occasion de s’entretenir avec plusieurs de ses membres, dont il a apprécié la « qualité du dialogue ». Nous sommes à la Salle Pleyel, rue du Faubourg Saint-Honoré dans le huitième arrondissement de Paris, la plus grande et plus prestigieuse salle de musique classique de la capitale française, jeudi 26 mai. Laurent Bayle est le directeur général de la Cité de musique, qui a repris la salle Pleyel, et il était un des deux membres de la commission d’experts qui a rendu un rapport sur les « synergies possibles entre l’OPL et la Philharmonie » à la ministre de la Culture Octavie Modert (CSV) il y a un an. Il connaît donc bien l’Orchestre philharmonique du Luxembourg et est lié d’amitié à son directeur musical et chef attitré Emmanuel Krivine, qu’il a invité plusieurs fois déjà à diriger, aussi à la salle de la Cité de la musique.
Ce n’est pas la première fois que l’OPL joue à Pleyel. Mais c’est toujours une épreuve du feu que de se produire à Paris, au centre du music business, pour un concert qui fut en outre diffusé en direct sur France Musique. On pouvait donc véritablement sentir l’émotion, une certaine nervosité même, lors de la séance des raccords avant le concert. Certes, l’orchestre a joué avec beaucoup de succès le même programme la veille au Luxembourg – Uncut, un nouveau morceau de Pascal Dusapin, le Concerto pour violon d’Anton Dvorák avec Julia Fischer en soliste et Petrouchka d’Igor Stravinski –, mais Paris, Pleyel, c’est un véritable enjeu, qui contribue au positionnement international de la formation en pleine mutation.
Pascal Dusapin est là, enroulant parfois sa grande silhouette dans une chaise au milieu de la salle, sa partition entre les mains, avançant soudain à grands pas vers Emmanuel Krivine lorsque ce dernier interrompt l’orchestre et se tourne vers lui en demandant « ça va comme ça ? ». Dusapin est enthousiaste, « oui, oui ! ».
Jouer Dusapin, compositeur français vivant, était une des demandes de la part de Laurent Bayle pour ce concert, jouer avec Julia Fischer un attrait côté public et terminer avec cette interprétation majestueuse de Petrouchka, sorte de démonstration-vente de l’OPL qui peut y valoriser toutes ses qualités musicales, faire jouer tous ses pupitres de haut niveau, des cuivres aux bois en passant par les percussions, et qui est en plus bien rodée pour avoir été présentée de nombreuses fois, aussi au Luxembourg (voir d’Land du 27 mai), une stratégie intelligente.
Car le seul nom d’un chef, fut-il aussi célèbre (et longtemps contesté) en France qu’Emmanuel Krivine, ne suffit plus pour remplir les salles de concert. Julia Fischer serait davantage un argument, elle a même valu des annonces dans la presse nationale française. Mais c’est finalement le tout, ce drôle d’ensemble de pièces on ne peut plus différentes – surtout l’imposant mur du son qu’est Uncut de Dusapin fit l’effet d’être venu d’ailleurs dans un concert plutôt slave, enjoué et festif. Néanmoins, même cela fait sens, puisque l’OPL essaie toujours et encore à se positionner dans la niche de la musique contemporaine, par exemple avec ses enregistrements.
« Mais c’est désert, regarde, il y a plein de sièges libres, c’est incroyable, » dit ma voisine de siège à son accompagnateur, des abonnés des concerts de Pleyel très sceptiques avant le concert de cette formation inconnue. Il reste en effet encore quelques-uns de presque 2 000 sièges libres, mais les responsables de l’orchestre étaient satisfaits des ventes. La salle est impressionnante par son style art déco (elle fut construite en 1927, entièrement refaite en 2006), son hall d’accueil généreux, ses rondeurs et ses deux balcons. Quelques toux encore, puis Krivine lève la baguette et Dusapin commence lentement, doucement, six solos dissolvent dans le silence avant un final féroce, tous instruments dehors, qui s’interrompt brutalement, « la fin est nette, mais tout peut continuer » écrit le compositeur dans le programme. D’où son titre, Uncut, pour suggérer un mouvement éternel, ininterrompu. Une partie de la salle est perplexe, l’autre, la majorité, enthousiaste. Pascal Dusapin monte sur scène, remercie le chef et l’orchestre.
Puis entre Julia Fischer, pimpante, sûre d’elle. Son Dvorák est virtuose, techniquement brillant, exécuté avec une telle légèreté qu’il coule naturellement. L’orchestre accompagne avec brio, fait preuve de retenue là où il faut, s’engage ailleurs. Les applaudissements sont déchaînés, rappellent sans discontinuer Julia Fischer, qui finalement donne deux bis, brillants, une sonate pour violon d’Eugène Ysaÿe et le Caprice en si bémol de Niccolò Paganini. Durant la pause, les échos sont positifs, parlent d’une découverte. Et le public revient pour Petrouchka, où l’OPL convainc même les sceptiques du début. Les applaudissements lui font ajouter un bis, la polka Unter Donner und Blitz de Johann Strauss, un peu convenue certes, mais qui entraîne les Parisiens dans sa joie festive.
Si, après la fusion, dont on attend l’annonce des prochaines étapes, l’OPL aura plus de missions nationales, de jouer à travers le pays et se rapprocher davantage du public luxembourgeois, les tournées et dates à l’étranger restent essentielles pour sa « valeur marchande », afin qu’il se positionne internationalement. Paris a à nouveau prouvé qu’il peut affronter la concurrence la tête haute.