Née en 1889 dans une famille dévouée au culte d’Euterpe, elle est l’une des rares fillettes à avoir accès à une éducation musicale. Pianiste et violoniste, c’est dès sa plus tendre enfance qu’elle s’essaie à la composition, et ce à une époque où les préjugés à l’endroit des femmes qui s’y adonnent ont la vie dure. Aussi n’est-ce que sur le tard qu’elle connaîtra, à défaut de consécration, du moins la reconnaissance de son art. Pourtant, le langage musical qu’elle utilise est simple, clair, sans prétention, facile d’accès, populaire au sens noble du terme, en ce qu’il ne cherche pas à secouer le cocotier mais tout simplement à plaire en parlant au cœur des gens (« Ech hunn dach fir d’Leit komponéiert », dira-t-elle). J’ai nommé Lou Koster, une créatrice de chez nous qui, ferme sur la forme et forte dans ses intentions, a tracé, discrètement mais sûrement, un sillon profond et singulier, et qui pourtant, il y a quelques années encore, passait pour une « illustre inconnue » auprès des mélomanes même les plus avertis.
C’est au CNA, en collaboration avec le Cid-Femmes, que revient le mérite d’avoir exhumé Der Geiger von Echternach, une œuvre de grande envergure, un « monument musical à portée nationale » (Danielle Roster), « ein Werk dessen Musik wohl die meisten […] zu kennen glaubten, ohne sie je zuvor gehört zu haben » (Marc Fiedler, d’Land du 25/09/2009). La ballade qui sert d’argument à cette vaste fresque pour solistes, chœur et orchestre est de la plume de Nik Welter. Elle narre l’émouvante histoire du joueur de vielle Guy-le-Long qui, de retour au pays natal après un long pèlerinage en Terre Sainte, est injustement accusé du meurtre de sa femme. Condamné à la potence, il demande, en guise de dernière volonté, de pouvoir jouer une dernière fois de son instrument. Son jeu magique envoûte les accusateurs et les badauds, lesquels se mettent à danser frénétiquement et sans discontinuer tels des possédés, cependant que le vielleux quitte discrètement les lieux.
En écoutant attentivement cet « oratorio profane » (Evy Friedrich), on peine à trouver quelque faiblesse suspecte dans l’art de Lou Koster, magnifique compositrice douée d’un sens inné du récit, et qui fascine par sa puissance de feu mélodique et la grâce naturelle de son inspiration. Conjuguant avec bonheur les esthétiques du XIXe siècle finissant, sa poétique musicale exhale la maturité (la première eut lieu en 1972, soit un an avant la disparition de la compositrice) et surtout un lyrisme vrai, jamais boursouflé. On goûte l’élégance accomplie de cette partition aux doux effluves du terroir, la sympathique harmonie des lignes et des formes qu’une solide distribution jamais ne trahit.
À la tête de l’OPL, du Chœur national du Luxembourg et d’un plateau de solistes vocaux triés sur le volet (Anja Van Engeland, Jeff Martin, Ekkehard Abele), tel le graveur burinant sa pièce, Pierre Cao (qui a signé par ailleurs l’orchestration, à la demande de Lou Koster, laquelle, à 83 ans, s’estimait sans doute trop âgée pour s’atteler à cette tâche de longue haleine), s’acquitte de ce drame coloriste avec une épatante maestria. C’est avec une ferveur sans faille qu’il s’attache à pénétrer au cœur de cet univers étonnamment personnel pour en restituer l’atmosphère toute de spiritualité en libérant une symphonie de couleurs, d’émotions, de tensions, de rythmes, de timbres, de nuances et d’accents contrastés, tantôt tendres et chaleureux, tantôt âpres et belliqueux.
On passe de l’envolée lyrique au souffle épique ou au ton dramatique, et toujours avec la plus grande finesse (parmi les qualités de la grande dame de la composition luxembourgeoise, le bon goût n’était pas la moindre). Comme temps forts d’une partition qui comprend 32 numéros, on retiendra le long et bouleversant Lamento de Guy (870 mesures !) de l’épisode n° 6 (Sprach’s und hob den schlichten Bogen) ou encore la danse ensorcelante du n° 24 (Und sie zwangen Weib und Mann), dans le motif et le rythme singulier (combinant trochées et dactyles) de laquelle chaque Luxembourgeois reconnaîtra la musique de la procession dansante d’Echternach.
De l’ensemble émane un charme délicieusement anachronique dont les fragrances oscillent entre impressionnisme de facture française et romantisme d’inspiration allemande. Musicienne instinctive, faisant fi des chapelles et autres coteries, sourde aux sirènes de l’avant-garde, mais animée du désir sincère de plaire au plus grand nombre, et jouant pour cela délibérément la carte de la sobriété, Lou Koster apporte à ceux qui l’écoutent le plaisir des choses simples, celui d’une simplicité voulue, conquise de haute lutte, qui n’est pas un aveu d’impuissance mais le fruit d’un art de la litote, arc-bouté sur un don mélodique peu commun et un sens tout classique de l’équilibre des formes.
Saluons la prestation, exemplaire de professionnalisme, des instrumentistes, choristes et solistes, cornaqués de main de maître par un chef qui excelle à dépoussiérer cette partition tombée dans l’oubli en lui insufflant la vie qu’elle mérite. Voilà une belle entreprise, à tous égards passionnante, une résurrection discographique magistrale, d’une vérité qui fait mouche, portée qu’elle est avec conviction par une équipe qui en veut. Plus qu’un album majeur, voilà, à coup sûr, un précieux jalon dans la conservation du patrimoine musical de notre pays.
Captation live du concert donné au Conservatoire de Luxembourg, le 17 septembre 2009. Direction de l’enregistrement : Claude Lenners. Image sonore très homogène. Livret d’accompagnement trilingue (allemand-français-anglais) solidement documenté et signé Danielle Roster. Minutage : 61’49. Le CD et le booklet sont en vente dans toutes les bonnes librairies, CD-shops ainsi qu’au shop du CNA et sur son site Internet (www.cna.lu) au prix de 20 euros.