Nomen est omen. Ainsi, on ne sera pas étonné de constater que l’excellent ensemble des Solistes européens Luxembourg compte dans ses rangs… d’éminents solistes, à l’instar du valeureux Katsuya Watanabe officiant à l’un des pupitres-phares de l’orchestre. Rien de tel qu’un disque-récital pour mettre en lumière le talent propre d’un instrumentiste dont le jeu se fond le plus souvent dans le creuset sonore de la formation symphonique. Procédant d’un choix judicieux, inventif et piquant, de pièces pour hautbois et piano, Summer Song nous fait découvrir un brillant coloriste à l’élégance coruscante, au panache électrisant, à la virtuosité d’autant plus épatante qu’elle a la délicatesse de se faire oublier, et qui trouve, grâce à des phrasés vibrioniens, des mélismes enjôleurs, la juste lumière, tantôt nacrée, tantôt fuligineuse.
Hautbois principal des SEL, le virtuose nippon a réussi à puiser, dans un répertoire plutôt limité, un florilège de derrière les fagots. De quoi conférer à son instrument le lustre qui lui est dû. Marié au piano de David Johnson, zélé alter ego d’un soliste royal d’aisan-ce, l’instrument pastoral par excellence déploie ici, à la faveur de miniatures d’inspirations très différentes, rudesses rustiques comme ravissements extatiques, éclats pimpants comme sanglots doloristes, fraîcheur bucolique comme tendresse lyrique. Éclectique à souhait, l’itinéraire sonore proposé évite toute monotonie et rend justice à la personnalité de chaque compositeur, Malcolm Arnold, par exemple, n’étant pas Gabriel Pierné.
Charnue, déliée dans le staccato, sensuelle dans la caresse mélodique, la sonorité de Katsuya Watanabe est d’une rayonnante munificence, passant du cuivre ambré à l’or le plus brillant. Et puis, il y a chez lui surtout cette sûreté du goût, cet amour de la « musique musicienne » qui font les vrais artistes et qui ne s’hérite ni ne se lègue. Quel plaisir de découvrir la délicate, coquette Sonatine de Malcolm Arnold, plus connu pour ses musiques de film (dont celle, particulièrement populaire, du Pont de la rivière Kwaï), les spirituelles cabrioles de Capriccio, morceau de bravoure d’Amilcare Ponchielli, dont le brio tout italien, loin d’être inventé pour épater la galerie procède d’une attitude intérieure, et qui ne le cède en rien aux paraphrases d’airs d’opéra d’un Liszt !
Watanabe nous ravit en transcendant une page à première vue aussi anodine que le Concerto d’Antonio Pasculli sur des thèmes de l’opéra La Favorite de Donizetti, tant le Cantabile du hautbois s’y déploie à merveille ; il nous enchante en parant la gentillette Sérénade de Pierné d’une aura poétique et d’une luminosité édénique ; enfin, il nous étonne en insufflant à une page aussi périlleuse que Summer Song de Miguel del Aguila (gravée en première mondiale !) une urgence et une plasticité dont peu de hautboïstes sont capables. Remaniée par le compositeur en 1994, mêlant des idiomes aussi divers que le chant indien et le style des Big Bands des années 1940, l’esthétique de la Renaissance et les mélismes du Proche-Orient, les rythmes ensor-celeurs de la samba brésilienne et ceux envoûtants des musiques des Caraïbes, cette partition hors normes compte parmi les plus casse-gueule du genre, à telle enseigne que la plupart des hautboïstes lui préfè-rent la version originelle – moins truffée de chausse-trapes – de 1988. Injouable ? Pas pour Watanabe, qui, en kamikaze, fort d’une maîtrise technique supérieure et d’un jeu tout en volubilité aérienne, parvient à déjouer toutes les embûches imaginées par le compositeur.
Nonobstant la couverture passablement chromo du livret (par ailleurs de bon aloi et instructif), cet album a tout d’une gemme précieuse. Quelle chance nous avons d’avoir dans ce pays un hautboïste de cette carrure ! Et dire que la plupart d’entre nous ne le savent pas ! Gageons que cet album contribuera à combler cette lacune en faisant résonner le nom de Watanabe aux oreilles du plus grand nombre. Plus qu’un coup d’essai, cette gravure, qui nous offre une heure de bonheur plein les poumons, confirme un grand talent.