Hans Hofmann est né en 1880 à Weissenburg, en Bavière, en Allemagne donc ; il est mort en 1966 aux États-Unis. Mentionner les dates et les lieux qui encadrent sa vie revient à la placer directement dans les soubresauts, les catastrophes de la première moitié du vingtième siècle. Revient à dire la façon dont un destin individuel s’est inscrit dans le cours de l’histoire générale, en sa souffert. Et comme il s’agit d’un artiste, comment son œuvre a de son côté subi des contrecoups, jusque dans la connaissance qu’on en a prise, du moins en Europe, très tardivement. Cependant, Hans Hofmann lui-même avait pris les devants pour contrecarrer l’oubli, par des dons importants à l’université de Californie, et de nombreuses peintures au Marché-aux-poissons en proviennent, d’autre part une fondation existe, elle aussi partie prenante.
Être trimbalé au fil des événements a ses deux faces, ça arrache de ses racines, de sa vie, ça permet au contraire de connaître du nouveau, ça forme la jeunesse comme on dit des voyages. Dès la vingtaine, Hans Hofmann s’en va à Paris, la seule fois où la décision n’est pas imposée ; il y est au contact de tout ce que la capitale européenne des arts à ce moment compte d’initiateurs de la modernité. Mais la Première Guerre mondiale l’oblige au retour en Allemagne où il va ouvrir sa première école d’art. Sa vie durant il oscillera entre les deux pôles, création et enseignement, et c’est sur l’invitation d’anciens étudiants américains qu’il se rendra aux États-Unis au début des années 30 ; le nazisme fera qu’il s’établira définitivement (et à temps, heureusement) outre-Atlantique.
On sait combien les artistes exilés (ils franchiront l’océan un peu plus tard) ont joué un rôle déterminant dans l’art américain. Avec son école, désormais à New York, le cas de Hans Hofmann est indéniable. Témoin le débat sur le dripping de Jackson Pollock, à savoir si Hans Hofmann (alors que pour d’autres c’est Janet Sobel, une artiste femme d’origine ukrainienne) n’en a pas été un précurseur : dans l’exposition du MNHA, un tableau qui date de 1943, Fantasia, en montre des traces, mais suffit-il de quelques sinuosités, circonvolutions, on est loin quand même de Pollock et de son all over, et puis débat vain, il est des idées, des procédés qui simplement arrivent à leur heure.
Cela dit, dans l’exposition Hans Hofmann, au-delà de ce retour, à partir des démêlés d’un va-et-vient entre deux continents, et au lieu de rechercher à tout prix des influences, des correspondances, tantôt avec des artistes français pour les débuts, tantôt des surréalistes comme Miro, pour The fish and the bird, de 1945, par exemple, mieux vaut se laisser aller, laisser filer le regard le long des cimaises et de leur variété de formes et de couleurs. Reprenant un peu le titre donné à l’exposition : Creation in form and color.
Quoi qu’il en soit, jusqu’à la fin, les années 60, l’explosion colorée ne perd rien de son intensité. Des débordements, de franche allure, sur la toile, çà et là ils sont comme remis au second plan, dira-t-on repoussés, maîtrisés, par des figures géométriques, des rectangles qui toutefois par l’opposition des couleurs ne font que scintiller, voire éclater d’autant plus le reste. Excepté pour Agrigento, de 1961, pièce qui arrête : une seule couleur, et encore souvent le brun rougeâtre ne semble qu’effleurer la toile, avec des nuances dans les taches, et à un moment l’œil à peine devine comme l’amorce d’une colonne. Ou l’esprit croit l’y reconnaître. « I am still a naturalis », aimait à dire Hans Hofmann, ajoutant : « my work symbolizes spatial constallations », pour leur attribuer aussitôt une dimension psychologique et poétique.