À la fin de la conférence qui s’est tenue le 2 juin, devant une salle bien remplie du Centre national de littérature à Mersch, Michel Raus déclare un peu solennellement que « matt Bicher ze rezenséiren an Auteuren ze kritiséiren ass vun elo un définitiv Schluss, hei schloen ech e Buch iwer e laangen Dél vu mengem Liewen fir ëmmer zou. » Déclaration non sans effet du critique littéraire luxembourgeois le plus sollicité, redouté, mais également décrié, voire dénigré. Wéi en Hamster am Raad s’intitulait la conférence : une rétrospective sur cinquante ans de recensions de textes luxembourgeois et allemands.
En effet, Michel Raus affirme qu’il a, au cours de ces décennies, parlé d’au moins 560 auteurs dans plus de 1 500 articles ou interventions. Il a été collaborateur pour un nombre impressionnant de quotidiens, d’hebdomadaires (notamment celui que vous tenez entre vos mains), de revues, luxembourgeoises, allemandes, autrichiennes, suisses et il a animé des émissions radios sur plusieurs stations (Radio Lëtzebuerg, 100,7).
Mais le travail du critique littéraire – surtout dans un pays aussi petit que le nôtre, et surtout si l’on s’attaque aux productions locales – est un travail très ingrat, avoue Michel Raus. « À mes débuts, il était impensable, qu’un critique du Wort par exemple, émette le moindre avis négatif au sujet d’un livre luxembourgeois. Il fallait toujours nuancer ses propos. Du genre : l’écrivain a quand même fait des efforts. Au Land, j’étais libre. Par conséquent, il m’est arrivé à plusieurs reprises que des auteurs m’en ont voulu après une recension négative de leur dernier ouvrage, alors que j’avais dit du bien de leurs livres précédents. Tel Roger Manderscheid, qui a très mal pris mon article sur Kühe im Nebel, roman publié en 2003, que j’ai trouvé assez mal écrit1. »
Michel Raus a eu son lot de fourberies, d’amitiés brisées, de crachats de venin, comme l’illustre également l’anecdote de l’échange d’articles au ton on ne peut plus acerbe entre lui et Robert Gliedner en 1965, dont il livra quelques fragments au public de Mersch. Aujourd’hui, il préfère éviter ces éternelles polémiques auxquelles tout critique littéraire se trouve forcément exposé dès qu’il offense un tant soit peu l’ego (si fragile) d’un écrivain. Il cite l’exemple du dernier Prix Servais, attribué à un livre de Rewenig (qui s’est déjà vu attribuer ce prix en 2006) écrit sous le pseudonyme Tania Naskandy. Selon Michel Raus, le jury ne s’est pas montré très attentif. « La griffe de Rewenig se reconnaît facilement. Le jury a fait une goure. Cela n’aurait pas dû arriver. » On se souvient du petit scandale que le décernement de ce prix a suscité (voir le blog de Georges Hausemer2). Mais Michel Raus s’abstient. Comme il s’abstient de la plus récente polémique (sic) concernant une certaine grande dame du ministère de la Culture. « Il faut savoir lâcher prise. Voilà pourquoi j’ai quitté ma place au sein du jury du Prix Servais. J’ai tiré un trait sous tout cela. »
Michel Raus est conscient, comme il le dit dans sa conférence, de sa réputation de « schaarfen Hond » ou de « bëssejen Auteur », et il lie cette renommée à un fait qui concerne encore de nos jours ces jeunes zélés qui rédigent des recensions et comptes rendus pour nos journaux : après des études à l’étranger, le regard sur la création luxembourgeoise a changé. On la trouve un peu désuète, comme si elle était en retard par rapport à ce qui se fait ailleurs. Il en fut ainsi pour le jeune Michel Raus, qui, revenu de Cologne, où il venait de finir ses études en germanistique ancienne, ne se trouvant pas l’esprit assez théorique pour rester dans l’enseignement supérieur, atterrit « presque par commodité, sans y avoir trop réfléchi » dans la critique littéraire, doté du bagage culturel que ses études lui ont fourni. « Comme tous les débutants dans la branche, j’ai simplement agi et réagi, dit-il, avec le tempérament impulsif qu’on me connaît ».
Mais il serait faux de considérer Michel Raus comme un des ces critiques dont les vitupérations ne trouvent leur origine que dans la frustration ou dans la jalousie « Les auteurs qui se tournent vers la critique lorsqu’ils sont arrivés au bout de leur art ne deviennent pas forcément de mauvais critiques. En effet, j’ai écrit des poèmes, des gloses, de petits textes, mais je croyais ne pas posséder les moyens pour me lancer dans le récit épique, dans le roman. Je n’ai pas trouvé le même courage que Manderscheid, Rewenig, les frères Helminger, etc. », avoua-t-il à son public à Mersch.
Quel est le regard du critique sur la littérature luxembourgeoise contemporaine, au lendemain de la mort d’un de ses plus grands auteurs ? « Elle se porte assez bien, dans la mesure des choses. Elle possède une vie propre, des thématiques propres. Il y a des auteurs qui la promeuvent à l’étranger comme Portante et Helminger. Car un des problèmes des auteurs luxembourgeois est leur incapacité à se vendre à l’étranger. Il faut être audacieux, il faut aborder, lors de conférences par exemple, les éditeurs, les libraires, etc. Il faut entretenir des contacts. Voyez comme le fait Guy Helminger. C’est un showman. »
« Mais il est temps, dit Michel Raus d’une voix paisible, peut-être un brin soulagée, de céder le terrain à la prochaine génération, aux nouveaux médias, à une nouvelle littérature. J’ai 71 ans, même si je préférerais en avoir 17. »