« Le Luxembourg, se moque le narrateur (la voix chaude et enthousiaste de Benny Brown), rend hommage à Gernsback avec une rue. » À l’image : le panneau indiquant l’indicible ruelle entre le cinéma et les foires internationales au Kirchberg, « qu’aucun chauffeur de taxi ne connaît, parce qu’il n’y a pas d’habitants ! » ajoutera plus tard Colette Flesch dimanche soir, lors de la première de Tune into the future, le documentaire que l’artiste Eric Schockmel consacre à Hugo Gernsback, « the most influential nerd you may never have heard of » dit la promotion. Né Hugo Gernsbacher dans une famille commerçante juive (son père était marchand de vin et est enterré au cimetière juif à Limpertsberg), en 1884 à Luxembourg où il grandit, Gernsback quitta l’Europe à l’âge de vingt ans, après la mort de son père, en direction des États-Unis. Piètre élève à l’école mais véritable Géo Trouvetout dès le plus jeune âge (le film regorge d’images géniales du jeune Hugo en action) il avait fait des études d’ingénieur en Allemagne et toujours rêvé de devenir inventeur, comme son idole Thomas Edison. D’où l’Amérique.
Comme le photographe Edward Steichen, dont il fut plus ou moins le contemporain, Gernsback (qui meurt en 1967, à l’âge de 83 ans) ne renia jamais ses origines luxembourgeoises – les extraits sonores dans le film prouvent son charmant accent luxembourgeois en anglais. Et comme Steichen avait Rosch Krieps en disciple, Gernsback a désormais un grand défenseur en la personne de Paul Lesch, le directeur du Centre national de l’audiovisuel. Depuis plusieurs années, Lesch milite passionnément pour la reconnaissance de Gernsback, a recherché sur lui et avait (co)organisé une exposition au Centre national de la littérature (An Amazing Story, 2011, avec Luc Henzig et Ralph Letsch, collectionneurs). L’initiative de lui consacrer un film remonte à Lesch aussi, qui s’était lancé mais avait abandonné faute d’images. En 2013, le producteur Bernard Michaux reprend l’idée et propose à l’artiste Eric Schockmel, connu pour ses films d’animation numérique, de le réaliser. Il mettra sept ans avant de l’achever.
Il s’avère que confier un tel projet de film à Schockmel était une excellente initiative : de ses années passées en Angleterre, où il a étudié et travaillé pendant quelque temps, il a rapporté une autre conscience de ce qui pourrait être intéressant pour un public international, auquel il veut s’adresser en premier. Pas de patriotisme culturel avec lui, mais des images d’archives souvent charmantes, parfois désopilantes (les défilés de taureaux en ville) de Luxembourg et de New York au tournant du dernier siècle. En plus, le fait qu’il soit créateur de mondes virtuels en images numériques lui a permis de trouver des solutions ingénieuses pour combler le manque d’images : en animant (par les dessinateurs du Studio 352) des images issues des magazines de Gernsback, et ce dans une technique désuète reprenant l’esthétique pulp.
Gernsback était inventeur de toutes sortes de choses utiles ou inutiles – 80 brevets à son palmarès –, de la première radio portable (la Telimco) à la prothèse dentaire permettant d’entendre (!). Certaines de ses inventions n’allaient se réaliser que beaucoup plus tard, s’émerveille le film, elles ne sont parfois que dans l’imaginaire de Gernsback – l’auteur et l’éditeur – et de son génial illustrateur Frank R. Paul. Car à côté de ses activités d’import-export d’équipements techniques, d’inventeur et de directeur d’une chaîne de radio, Gernsback était surtout un éditeur de magazines futuristes, vantant l’avenir merveilleux grâce aux inventions de l’homme : les voitures volantes, l’homme qui s’élève seul dans les airs (et qui inspirera Superman), les robots, les ordinateurs ou les hoverboards figuraient sur les Unes de ses Wonder Stories ou de ses Amazing Stories. Il compte pour l’inventeur du terme « science fiction ».
Eric Schockmel réunit une impressionnante quantité de témoinages sur Hugo Gernsback, d’un de ses petit-fils en passant par les Luxembourgeois Lesch et Henzig jusqu’aux scientifiques américains qui vantent qui ses visions et qui son empreinte dans les cultures populaires du XXe siècle. Certains s’avancent sur des terrains douteux, comme cette affirmation que Gernsback était très probablement Asperger au vu de son côté maniaque et sa sociabilité difficile. Après sept ans de travail sur un même sujet, il est parfois difficile de faire encore la part des choses : le film est trop long, se laissant par moments entraîner dans l’émerveillement de ses propres images ou de la musique
(Francesco Tristano & Pascal Schumacher). Mais c’est une réussite, parce que justement, il évite le folklore et le chauvinisme du « grand fils de la nation ». Et on en apprend vachement sur ce drôle d’oiseau d’Hugo. Et grâce à lui. Comme sa foi en l’avenir.