Tout autochtone fan de musique défricheuse vous le dira : le meilleur moment de l’année à Luxembourg pour les concerts est le mois d’août. Alors que la moitié de l’Europe se vautre sur des plages congestionnées ou prend un apéro sans fin dans un camping ombragé, les congés sont annulés pour le staff des Rotondes, où découvertes et valeurs sûres se succèdent sur scène pendant quatre bonnes semaines, au grand bonheur de quelques poignées d’indie-nerds. L’ouverture de l’édition 2018 des Congés Annulés avait lieu vendredi dernier, sous une lune de sang et une trentaine de degrés invitant manifestement à la tchatche et au farniente, au vu de la foule présente sur le parvis des Rotondes. De ce capital humain démontrant l’attractivité de ce site exceptionnel de la vie socio-culturelle luxembourgeoise, seule une (trop) maigre partie osa s’aventurer dans le chaudron où les choses sérieuses se déroulaient, qu’Emile Sornin, tête pensante de Forever Pavot, qualifia de « hammam le plus stylé d’Europe ».
Forever Pavot était la tête d’affiche de cette Opening Night. Le groupe français signé sur Born Bad Records est réputé pour sa musique difficilement classable, à la frontière d’à peu près tous les styles. Emile, son leader et homme à tout faire chevelu, opère en chef d’orchestre d’un quintet tantôt jazz, tantôt prog-rock, tantôt psychédélique, entre solos de clavecin, flûte traversière ou guitare fuzz. Le résultat scénique est jouissif. Les cinq membres du groupe démolissent allègrement les cloisons stylistiques et nous plongent dans la bande originale d’un film inédit de Jean-Luc Godard, dont un Serge Gainsbourg défoncé aurait écrit le scénario. Faire du neuf avec du vieux, puiser dans le meilleur et le plus éclectique passé pour construire quelque chose de frais, peu de groupes y parviennent avec succès. On pense à Bertrand Burgalat, Broadcast ou encore Stereolab. Forever Pavot le fait avec beaucoup de classe, de maestria et d’humour, sans trop se prendre au sérieux.
La prestation des français était intercalée entre deux propositions luxembourgeoises : l’OVNI encore peu connu Das Radial, basé à Berlin, affublé d’un déguisement ressemblant à un Pierrot (version haut-de-forme) et déclamant des textes durs et froids en allemand sur base de boucles synthétiques oppressantes. Mais surtout No Metal In This Battle, quatuor désormais confirmé de la scène locale, au post-math-punk teinté de groove semblant plus abouti à chaque fois qu’on les croise. Jouant cette fois à même le sol, dans la quasi obscurité, entourés par le public de plus en plus enthousiaste bière après bière, ils ont eu vite fait de propager le brasier allumé par Forever Pavot quelques minutes auparavant et faire danser les plus motivés, tandis que ceux dont le sommeil était le plus affecté par la canicule avaient du mal à ne pas hocher de la tête et taper du pied. La répétition des textures avait des vertus psychédéliques et offrait une transition idéale à la musique de Lorenzo Senni, qui se chargea de clôturer cette belle soirée de lancement.