Le Lac des cygnes, ballet composé par Tchaïkovski sur commande du théâtre de Moscou à la fin du XIXe siècle, aura attendu 18 ans pour être chorégraphié par Marius Petipa, dont la version demeure la plus répandue. Ce ballet a été revisité par divers chorégraphes et interprété par des danseurs tels que Vaslav Nijinsky ou Mikhail Baryshnikov. Rudolf Noureev a été le premier à faire une lecture psychanalytique de l’œuvre. Des chorégraphes contemporains comme Neumeier (1976) et surtout Matthew Bourne en 1995 emprunteront cette voie à sa suite, exploitant l’homosexualité présumée de Tchaïkovski.
Les chorégraphes introduisent leurs propres projections sur l’histoire : la fin est heureuse ou tragique, les cygnes sont interprétés par des danseuses ou danseurs… C’est en sorte le classique des classiques, le « tube » du répertoire des ballets. Le public était dans cet état d’esprit lors de la représentation donnée le 20 mai dernier au Grand théâtre de la Ville de Luxembourg. Les applaudissements trop fréquents, sans retenue et parfois même à la surprise des danseurs lors d’une transition dans un enchaînement et les « bravo » hurlés à tort et à travers exacerbaient le côté grand public de cette œuvre.
La chorégraphe Marcia Haydée, prima ballerina en 1962 au Ballet de Suttgart et en ayant assuré la direction de 1976 à 1996 présentait une version traditionnelle romantique du Lac des cygnes. Cependant, la structure du ballet initialement en quatre parties a été modifiée. La chorégraphe a composé son travail en deux parties avec entracte et l’a concentré sur les trois personnages principaux : le prince Siegfried, le magicien Rothbart et le cygne Odette.
Tout le répertoire des mouvements classiques et formes de danse semble se décliner dans ce ballet : saut de l’ange, entrechats, saut de cheval, fouettés, pas de deux, pas de quatre, variations, mazurka, danses espagnoles, napolitaines, russes…. Marcia Haydée a enrichi la gestuelle du magicien par des ponctuations contemporaines rayonnantes. Les couleurs de la scénographie vert et violet de Pablo Nunez illustraient bien le propos entre nature et autorité (de la Reine) et les costumes étaient véritablement féeriques. Toutefois, certains tableaux restaient trop chargés et trop réalistes.
La partition intense de Tchaïkovski était interprétée en direct par l’Orchestre philarmonique du Luxembourg sous la direction de Benjamin Pope. Alain Honorez a joué parfaitement et magnifiquement le rôle de Rothbart, le magicien. Charismatique, il a occupé la scène et ses mouvements étaient précis et éclairaient la trame narrative du ballet. Aki Saito dans son rôle d’Odette / Odile n’a laissé place à aucune critique technique dans l’exécution de ses équilibres, tours, battements, dégagées, déboulés… Toutefois, le résultat tenait plus de la performance technique que de l’incarnation du rôle.
Wim Vanlessen dans le rôle du Prince a été véritablement pris en étau entre Rothbart très présent et une Odette inaccessible. Le côté mièvre et précieux du Prince paraissait excessivement rendu. Lorsque quelques erreurs techniques mineures se sont produites, le Prince a perdu en crédibilité et peut-être en confiance aussi. Une Odette concentrée sur la difficulté de son rôle face à un Prince qui ce soir-là apparaissait peu sûr de lui par instants, le Lac des cygnes avait du plomb dans l’aile.