Jérôme Savary, l’homme qui, des Chorégies d’Orange à la Salle Favart de Paris, a fait aimer l’opéra aux enfants, fait aussi aimer Boris Vian aux seniors, à en juger par les applaudissements qui ont accueilli son spectacle l’autre jour au Théâtre des Capucins et qui émanaient d’un public aussi grisonnant qu’enthousiaste. Les rides, ce soir-là, étaient autant sculptées par l’âge que par les zygomatiques, car les spectacles du prestidigitateur de feu le Grand Magic Circus ne font ni dans la dentelle, ni dans la demi-mesure et encore moins dans le second degré.
Avec ses faux airs de Prévert, Savary nous concocta un inventaire des multiples facettes du génie germano-pratin qui était ingénieur issu de Centrale, excusez du peu, trompettiste et chroniqueur de jazz, auteur-compositeur de chansons, traducteur, écrivain, anticonformiste (vous l’aurez compris), antimilitariste (cela va de soi) et (tant pis pour lui) malade du cœur. Aussi est-ce quand Vian nargue la mort, quand il la fait rimer avec le Castor et avec Dior, que Savary jaune. Les jeux de mots fusent et, s’il ne font pas de maux, ils font mouche, égratignant tout juste à leur passage l’auteur de La gerbe, le Jean-Sol Partre de L’écume des jours, ce merveilleux roman qui accompagna notre adolescence et qui, dans la tête de Chloé, mit un nénuphar au lieu et à la place d’une longue et douloureuse maladie.
Nul ne songea à déserter quand le célèbre déserteur fut interprété par une femme, en remake surprise de la mère Courage voire de la Gëlle Fra, mais qui nous montra aussi que les ciseaux d’Anastasie, sous Sarkozy, sont aussi tranchantes qu’en 1955, lendemain de la débâcle de Dien Bien Phu. On se souvient que Paul Faber (l’autre bien sûr, le conseiller municipal de Paris) réussit alors à interdire la chanson sur les antennes françaises. Nina Savary nous chanta en effet la version « soft », pacifiste, et non pas la version originale, plus incisive, qui exhorte carrément à la violence quand elle se termine sur le couplet « Prévenez vos gendarmes/ que j’emporte des armes/ et que je sais tirer. »
Nous avons donc assisté à un véritable « pianocktail », mixé par une troupe qui prenait un malin plaisir à faire renaître « Bison ravi » avec à leur tête une Nina Savary à faire pâlir d’envie Liza Minelli dans ce cabaret littéraire et musical. Que Boris Viande chante le Tango de la Villette, qu’il préfère boire que Beauvoir pour voir ensuite la vie en cirrhose, qu’il s’empiffre de rillettes de la Sartre qui le saoûle, il y avait décidément à boire et à manger au théâtre ce soir et jusqu’au pain (blanc) final qui surgissait de la trompinette du maestro Savary.