L’exposition qui se tient actuellement au Frac 49 Nord 6 Est a le mérite de mettre en lumière une figure peu connue du grand public : la peintre Christina Ramberg (1946-1995). Il s’agit de la première étude majeure consacrée à l’artiste et éducatrice américaine en-dehors des États-Unis. Son titre, The Making of Husbands : Christina Ramberg en dialogue, se réfère à un documentaire de la BBC qui retrace le tournage de Husbands (1971), joyeuse et crépusculaire virée de trois potes en pleine crise de la quarantaine signée John Cassavetes. Le travail de Ramberg a ceci de commun avec le cinéaste qu’il déconstruit les genres et les rôles stéréotypés, ici mené par le biais du corps et du vêtement, une relation sans cesse élaborée et questionnée au cours de l’exposition.
En témoigne l’ensemble exceptionnel de peintures et de dessins réunis par le Frac Lorraine, dont les motifs régulièrement convoqués subissent toutes sortes de mutations formelles, jusqu’à disparition complète du corps pour le seul ornement. Des réalisations malicieusement inspirées de la mode, des clichés publicitaires, de la bonneterie, qui se présentent aux côtés des productions d’une douzaine d’artistes internationaux, selon une démarche associative et dialogique qui permet de situer l’œuvre de Ramberg dans le vaste paysage de l’art contemporain. Une véritable gageure dans le cas de cette artiste « inclassable, tout comme la production artistique de bon nombre des artistes de Chicago qui furent actifs dans les années 60-70 au sein d’une scène artistique assez différente de celle de New York. Les généalogies habituelles ne sont pas applicables. Mais ce qui fait d’elle une artiste vers laquelle on peut constamment retourner est la prescience de son approche et sa capacité à parler de sujets qui dépassent les générations pour parler de la compréhension que nous avons de notre propre corps à partir de formes ultra-simples. Elle est extrêmement directe. Elle expose tout sans rien perdre de la complexité du sujet – notre rapport ambivalent aux lois qui s’appliquent à notre corps », remarque Fanny Gonella, directrice du 49 Nord 6 Est.
L’habit, on le sait, renferme des normes et des logiques de pouvoir, instaure des formes de hiérarchisation sociale et de distinctions symboliques. Il est un pouvoir en signes, comme peut l’être par exemple l’uniforme d’un juge ou d’un policier. À l’inverse, c’est en se mettant à nu dans l’enceinte d’une église que saint François renonçait scandaleusement aux mondanités pour adopter une vie ascétique. Un pareil acte inaugural se retrouve dans deux acryliques installées au premier étage du Frac. La première, Black Widow (1971), montre, de profil, une femme arborant des sous-vêtements noirs et luisants comme sa chevelure : des attributs qui annoncent « l’érotisme sombre » évoqué dans le catalogue par Anna Gritz, curatrice au Kunstwerke de Berlin à l’origine de la manifestation. Réalisée la même année, la seconde toile, intitulée Probed cinch, se focalise cette fois-ci sur un dos cintré par le port d’un corset, taille resserrée et hanches rehaussées. En secret, une main féminine parachève l’apprêt, tel un véritable cliché de cinéma. Sont déjà rassemblées les caractéristiques stylistiques de la peinture de Christina Ramberg : des aplats scrupuleusement lisses en proie à des transfert de textures, le reflet d’un vêtement pouvant interagir avec l’éclat d’une chevelure. Mais aussi un minimalisme dans lequel le corps se tient au bord de l’abstraction, désincarné, anonyme comme un mannequin, réduit à une partie fétichisée – un tronc ou un buste le plus souvent, cibles privilégiées des stratégies publicitaires de lingerie féminine.
Ses dessins au stylo à bille en révèlent la dimension répétitive, fragmentaire et sérielle, cependant qu’un ensemble de sept acryliques, dans la dernière salle de l’étage, met en évidence le travail mené sur la figure, ouverte à toutes les configurations plastiques. Réifié, impersonnel, le corps passe par tous les états, littéralement transformé en support (un cintre dans Glimpsed, 1975), dissout au sein de formes géométriques et totémiques (OH.#2, 1976), avant de prendre l’aspect d’une lampe de nuit à l’autre extrémité de la cimaise (10 Watt Night Table Lamp, 1977). Une véritable galerie de vanités où cohabitent les volumes de Senga Negudi (A.C.Q.I., 2016), Diane Simpson (Box Pleats, 1989), Ana Pellicer (Anillo liliputense, producto de exportacion, 1991), et les impressions laser de Sara Deraedt (Dyson, 2017) en cours d’acquisition pour la collection du 49 Nord 6 Est.
Au grenier enfin, l’espace rapproche, aux côtés de parures désormais constituées de bandelettes (Willful Excess, 1977) ou de corde (Vertical Amnesia, 1980), la performance vidéo de Kathleen White (The Spark Between L and D, 1988) et le modèle expanded d’Alexandra Bircken, avec ses épaulettes en latex et ses pieds en métal (INXS, 2016). Une tendance accessoiriste au sein du corpus de Ramberg que l’on retrouve encore chez Bircken, dans Löwenmaul (2017), constitué de cheveux humains suspendus à un soutien-gorge de couleur noire. Une influence visible également dans l’emploi ironique de matériaux en tous points étrangers à l’objet de référence, à l’instar de ce bolide de grand format orné de tissus fluo que l’on doit à Frieda Toranzo Jaeger (…And yet we are becoming, 2019).
Les connexions avec l’œuvre de Christina Ramberg sont illimitées. Ainsi que le remarque Fanny Gonella : « Ces œuvres permettent de souligner certains aspects du travail de Ramberg, qui sont un peu moins directement présents dans les toiles. Certaines permettent de rendre visible notre rapport, visuel ou physique, aux infrastructures comme éléments qui paramètrent, voire conditionnent notre expérience physique, notre rapport à l’espace et à l’autre. Ramberg a ces dynamiques-là en tête quand elle peint, mais ces rapports de force sont plus explicitement évoqués dans certaines œuvres comme Gates de Ghislaine Leung par exemple. Mais la sélection n’est évidemment pas exhaustive et aurait pu rassembler un nombre presque infini d’artistes. Alors chacun peut chercher à associer les œuvres de Ramberg à d’autres artistes, la liste est infinie ! »