Alors que la cinquième Triennale jeune création s’ouvre cet été (du 25 juin au 30 août), le Casino, les Rotondes et le Cercle Cité n’ont pas pu attendre et montrent Triennials comme préambule. Une exposition qui rassemble des travaux récents et pour certains inédits, de sept artistes passés dans le programme de la Triennale. Résultat de cette impatience très compréhensible : cette exposition coordonnée par Marc Scozzai est bien plus qu’un amuse-bouche, plutôt un vrai moment suspendu au-dessus des problématiques de la génération de ceux qu’on nomme « millenials », encore et toujours dans une forme de jet-lag sociétal.
Cette exposition d’amorce qu’est Triennials rend compte de l’évolution du travail d’artistes issus, pour 90 pour cent d’entre eux, de la précédente édition de la Triennale. C’est en effet là, en 2017, que tout a commencé pour Marc Scozzai, actuel responsable du programme arts visuels des Rotondes, qui a coordonné l’exposition en présence, un « teaser », comme il l’appelle, monté avec à l’esprit, « l’idée d’attribuer du lien entre le lieu et le travail d’un artiste ». Aussi, à regret, le projet États des lieux de Marie-Luce Theis n’aura pas lieu pour des raisons techniques (voir d’Land 08/20), justement, tandis qu’au Cercle Cité, Marc Buchy trouve une belle place dans la Cecil’s Box pour son œuvre Conditionnel Présent.
Aux Rotondes, on retrouve le Messin d’adoption Guillaume Barborini, intéressé par l’espace comme matière concrète. Au cœur du spot, Barborini dans Terre ferme, vient déplacer la terre du centre de la Rotonde 2, pour en remettre une toute neuve, arable, et qui potentiellement – si rien ne vient entraver cela – verra y grandir des plantes. C’est la poésie de la planète qu’on observe, de la disparition des sols à leur naissance, comme expliqué c’est « l’expérience du monde plutôt que sa consommation ».
À quelques pas de là, on peut s’installer sur l’une des tables hautes et en levant les yeux, choper un instant ou regarder en entier, le joli court-métrage de l’artiste Marina Smorodinova. Du corps et du ciel, 26e loop des Rotondes, s’inscrit pleinement dans Triennials. En racontant l’histoire d’une fille qui s’échappe de la civilisation plusieurs fois par an pour observer les étoiles, Smorodinova tisse une représentation cohérente des aspirations de sa génération à regarder ailleurs.
Ailleurs, proche de l’entrée de la Buvette, Rémy Laporte envahit le cube vitré de son Spleen3. Néanmoins, outre l’installation basée sur le sketch-book de l’artiste, de fait brouillon et autocentré, il y a bien cette bande-son travaillée à base de rêve et de spleen, qui capte et embarque dans la mélancolie, mais « exposer le son » est une autre paire de manches et ici, cela nous glisse malheureusement entre les tympans.
Et finalement tant pis, car la suite est d’un délice absolu. À côté, dans l’autre Rotonde, Paul Heintz installe Shànzhài Screens, une œuvre scénographique, picturale et vidéographique immersive. Heintz embarque ses visiteurs dans un atelier d’artiste du quartier de Dafen, dans la banlieue de Shenzhen en Chine, où 8 000 copistes vivent et travaillent pour peindre près de cinq millions de tableaux par an. De ses visites là-bas, donnant suite à un court-métrage, et d’une correspondance de peintures et de dessins avec l’artiste Wang Shiping (habitant de Dafen), Paul Heintz décèle par cette installation une question essentielle de notre époque si particulière : « Qu’est ce qu’un artiste ? ».
Une question qui fait écho aussi au choix des organisateurs d’intégrer pleinement Jérôme Knebusch, signataire de la charte graphique des supports de communication de la Triennale, dans la programmation de ce préambule…
Dans ce sens, Marc Scozzai, coordinateur de la Triennale, et artiste participant de la première édition, en 2007, revêt aujourd’hui une autre casquette comme pour boucler la boucle. Et de fait, Triennials n’en revient pas uniquement à une démonstration du rayonnement des artistes du cru 2017, mais ouvre à une belle réflexion artistique, ancrée dans la forme comme dans le fond, dans l’utilisation de l’espace en tant que tel, autant que dans l’implantation des œuvres dans celui-ci. Les Rotondes s’installent ainsi de plus en plus comme une maison d’artistes et on gage que la troisième édition du Leap, qui arrive prochainement (le 26 mars), confirme la chose.