Bien sûr, il y a des images mythiques qui existent dans la réalité : l’Empire State Building à New York, le Goldengate Bridge à San Francisco, le Flatiron Building à Chicago… Il s’agit souvent d’architectures prestigieuses qui symbolisent cette force, cette puissance, cette liberté que se sont donnés les pionniers pour arriver aussi haut et qui restent une espèce de sommet de l’échelle de la réussite à l’américaine. La première fois où on se retrouve effectivement au pied de ces géants, la nuque renversée en arrière, on a un sentiment jubilatoire : voilà, on y est, on touche la réalité, on fait sienne la success story américaine.
Mais l’Amérique, c’est beaucoup l’Amérique rêvée, où le cinéma a la part belle. Ne se croirait-on projeté dans un film la première fois où on traverse les rues de New York dans un cab jaune à damiers noirs et que la ville se déroule devant vos yeux comme sur grand écran ? Aussi, c’est dans le cadre du Luxembourg City Film Festival, qu’Anouk Wies, directrice du Cercle Cité et commissaire de l’actuelle exposition, propose de visiter l’Amérique de Véronique Kolber.
Un voyage qui a commencé, jeune fille, dans une caravane, au fond du jardin de ses parents dans la banlieue de Luxembourg. Elle avait emprunté un livre de Stephen King à la bibliothèque parce que la couverture était rouge. Et depuis, la passion pour la littérature américaine, où souvent le suspens a la part belle, ne l’a plus quittée. Une fiction peut donc être à l‘origine d’une passion et d’un métier dans la vraie vie. Car à partir de 1999, Véronique Kolber s’est mise à parcourir réellement l’Amérique avec un appareil photo, effectuant sept voyages où elle a récolté 2 000 images. American diorama fut le premier résultat de ce road trip. Un travail sur des « vraies gens », quand la présente exposition, vide d’êtres humains, est propice à donner vie à des personnages imaginaires.
La fusion lectures-images (au sens du précipité chimique du terme), s’est faite quand le cinéma de David Lynch, des frères Coen et puis de Christopher Nolan lui donnèrent l’impression qu’y étaient intégrées ses photographies de lieux isolés, de chambres d’hôtel anonymes. Elle se mit frénétiquement à rechercher dans ses archives des images qui étaient les siennes, mais qu’elle reconnaissait dans les films de ces grands cinéastes. C’est ainsi qu’est né le projet Fictitious location spotting for a non-existing movie, actuellement au Ratskeller.
Véronique Kolber étant devenue entre-temps photographe de plateau sur des tournages de films, la fiction script-images au Ratskeller commence avec une photo grandeur d’une chambre d’hôtel, parfaitement ordonnée, où on peut imaginer le début ou la fin d’une histoire. Va-t-elle commencer – c’est ensuite la première des photographies qui font le tour de la salle d’exposition – au bord de la piscine du motel, ou un cadavre repose-t-il déjà au fond du bassin ?Les cinéphiles reconnaîtront au fur et à mesure, No country for old men des frères Coen (la piscine vue de jour donc), Sunset Boulevard de Billy Wilder (la piscine vue de nuit), le téléphone et le lavabo de Barton Fink (encore des frères Coen), le papier peint et l’église de SE7EN d’Andrew K. Walker, etc. Des extraits des scripts des cinéastes correspondant à ces séquences côtoient les photos de Véronique Kolber.Mais toute histoire n’est-elle pas issue d’un imaginaire qu’on déroule ou rembobine à volonté dans sa tête, avec les arrêts sur image au moment que l’on veut ? Ainsi de parties de textes qu’elle a biffés ou de faux scripts parfois écrits par elle-même. Elle en tout cas l’affirme : memory = fiction. Marianne Brausch