Tous ceux qui avaient raté l’exposition du Mudam, au long de l’année 2017, voici qu’il leur est offert une séance de rattrapage, à la galerie Nosbaum Reding, pour connaître un artiste majeur de notre époque, Tony Cragg, représentant combien divers et riche dans son travail, de ce qu’on a appelé la nouvelle sculpture britannique, avec les Deacon, Woodrow, Kapoor, Gromley, à la suite de Henry Moore. Pour les autres, c’est un rappel bienvenu, et comme il arrive aux souvenirs, de réduire, de condenser, on est en face, dans les salles de la galerie, à une demi-douzaine de sculptures, une dizaine de dessins, des créations toutes récentes.
Les formes, ça grouille, ça prolifère chez Tony Cragg, mais le fourmillement est là pour aboutir à une unité, ou pour employer une autre image qui reste dans le même monde quand même, les abeilles ont beau bouger, essaimer, elles font la ruche. C’est dire ensemble ce qu’il y a de mouvement dans les sculptures de Tony Cragg, et de stable, de solide. Disons encore un support, une colonne vertébrale, et notre sculpteur derviche, s’il fait tourner, tournoyer, comme dans la danse rituelle, est un homme d’un parfait équilibre.
L’exposition comporte quatre de ces stèles, développements dans l’espace dans un mouvement rotatif ; l’une d’entre elles plus trapue, les autres sveltes, avec un décentrement plus ou moins grand, hardi, et une fois il se trouve comme un couple s’élançant en hauteur, prêt à s’accrocher, à s’agripper. Ailleurs, toujours dans l’abondance, la sculpture est près de faire la roue, paon de bronze et de couleur rouge au plumage d’allure royale. Ou alors un monolithe de forme elliptique se dresse, plus noblement, mais dans un esprit analogue aux empilements de jadis, des années soixante-dix, de débris divers. Partout, il peut arriver que le visiteur découvre, surprenne l’esquisse d’un visage, disparu aussitôt, emporté, repris dans la masse et le mouvement.
Tony Cragg peut être caractérisé par pareil va-et-vient, mais cet entre-deux est multiple et n’en enrichit que davantage son art. Et l’exposition elle-même, côté matériaux, va déjà au-delà. On sait que Tony Cragg, cependant, ne s’en est pas tenu aux seuls matériaux traditionnels tels qu’ils se présentent ici dans leur variété, bronze, pierre, bois, et il faut y ajouter l’acier inoxydable, il a travaillé avec une même maîtrise pauvres ou industriels. L’entre-deux, on le trouve ailleurs, du côté des principes de la sculpture classique et de l’expérimentation, chez un artiste de formation scientifique dont l’intérêt prend logiquement de suite un tour esthétique. Cet esprit le porte à une exploration du monde toute originale, évoquant toutes sortes d’univers, des sciences, des cultures, des paysages ; et l’on a vu que la figure humaine n’en est pas absente non plus. En 2013, Tony Cragg avait été appelé au Collège de France, pour la chaire de création artistique, il est hautement instructif d’écouter ses leçons, sur le thème de sculpture et langage.
Si les sculptures dans ce sens sont comparables à un texte abouti, imprimé, comparons les dessins dans l’exposition à des ébauches, des esquisses, des notes. Ils n’en ont pas moins leur existence propre, avec leurs flux si vivants, une mouvance d’où la forme va se sortir, se dégager peu à peu. Comme une naissance. Pour le visiteur, d’où cette belle confrontation, cette comparaison entre les deux expressions. Et de la façon la plus convaincante, cette autre interaction, avec la technologie, et l’aide d’un logiciel de modélisation 3D. Ce qui fait dire en conclusion à cet artiste féru de tradition et de nouveauté, de science et d’art, que le futur de la sculpture vient tout juste de commencer.