d’Lëtzebuerger Land : Commençons par un autre événement que Sitting for decades : vous faites partie du groupe d’artistes qui représenteront le Luxembourg à l’Exposition universelle à Dubaï. Comme votre musique n’est pas « classique », comment cela va-t-il pouvoir être perçu ?
Patrick Muller : Le comité de sélection s’est posé la question de comment représenter les arts plastiques luxembourgeois et la réponse a été « nous allons présenter un travail collectif » et j’ai été sélectionné comme sound designer parce que mon travail sera un aller-retour interactif entre et avec d’autres formes d’expressions artistiques.
Revenons à Sitting for decades, votre installation au Casino Luxembourg, qui fait directement référence à I am sitting in a room d’Alvin Lucier.
Alvin Lucier, qui est un pionnier de l’art sonore est une icône pour moi. C’était un rêve pour moi de le rencontrer, et Kevin Muhlen, le directeur du Casino, m’a donné cette chance. Car Alvin Lucier est tout de même un vieux monsieur de 89 ans et il vit aux États-Unis ! Ceci dit, cela s’est fait très simplement : il a dit « oui » ! Mais je ne dirais pas que cette exposition au Casino est un hommage au sens strict : ce serait contraire à l’idée même de son travail.
C’est devenu l’œuvre qui occupe actuellement l’espace principal du Casino…
Absolument. I am sitting in a room de Lucier date de 1969. D’où les cinq sets de baffles et micros qui représentent chacun une décennie, au cours de laquelle Lucier a collaboré avec et influencé des artistes comme John Cage, Merce Cunningham et plus près de nous Sonic Youth, Pan Sonic, Eric Létourneau.
Tout comme Lucier s’était enregistré lui-même et avait transformé ses paroles en musique électroacoustique, je prends des extraits de l’entretien que j’ai fait avec lui aux USA et je « copie-colle » chaque version qui succède à la précédente et ainsi de suite, de série micro-baffles en série micro-baffles, c’est-à-dire une superposition d’avec la précédente – disons comme empilées en sandwich. Quand vous traversez l’espace et que vous arrivez à la fin, vous avez entendu les différentes couches. Mary Lucier, à l’époque, avait fait la même chose avec une photographie d’Alvin au travail. En photographiant la première photographie, etc. Les deux œuvres avaient été présentées au Guggenheim à l’époque. Ici, les voix, les pas des visiteurs sont enregistrés et seront surimprimés à ce que vous entendez, ce qui donnera une nouvelle création ou re-création.
C’est également le principe de Progression, que l’on voit en premier en montant le grand escalier. Est-ce que vous diriez que le hasard fait bien les choses ?
Si vous entendez par là qu’Olivier Pestiaux dessine et peint les yeux bandés, on pourrait dire ça. Mais c’est bien sûr pour être plus réceptif à l’improvisation sur les instruments à percussion par le musicien Guy Frisch.
On en revient au travail collaboratif entre disciplines artistiques pour Dubaï…
Et à la création continue. Parce que les deux disciplines, musicale et picturale, créent un « répond » en alternance : si Olivier Pestiaux, certes a créé son premier dessin sur l’improvisation musicale de Guy Frisch que vous pouvez écouter au casque à côté du résultat dessiné, la fois d’après, c’est le musicien qui interprète la « partition » graphique.
D’où la série de panneaux que l’on voit au mur, en attente, et qui seront donc complets, alternant dessins et casques audio à la fin de l’exposition et ce sera l’œuvre Progression.
C’est ça.
Il y a une troisième œuvre, qui paraît plus pastique, avec son micro et ses deux baffles. Two balanced lines of music.
Vous voulez dire un hommage littéral à la manière de travailler d’Alvin Lucier ou parce que vous n’entendez rien ? C’est dû à la distance exacte entre les baffles et les baffles et le micro. Mais si vous passez entre, votre corps, vos mouvements, vont générer le fameux effet Larsen, des sons différents selon votre position et vos mouvements.
Ce week-end, qui est la mi-temps de l’exposition, sera très interactif, collaboratif. Vous allez faire œuvre commune avec d’autres artistes durant trois jours.
Oui, ce symposium regroupera un panel d’artistes internationaux et il y aura des conférences, des concerts, des performances, des ateliers pour adultes et pour les enfants. Et ce sera aussi ludique. Le métier de sound designer et mes créations peuvent paraitre mystérieux, mais tout est question d’approche : moi-même, je ferai plusieurs ateliers avec des enfants, l’exposition sortira hors les murs. Le public sera invité à participer à la promenade sonore de l’artiste katrinem, au pas précis et régulier de chaussures sonores qui, je parie, incitera ses accompagnateurs à marcher de la même manière !