Rien de mieux, en cette période de confinement et de couvre-feu, que la joie de vivre d’une comédie musicale. Dans le cadre de l’hommage rendu au cinéaste britannique Alan Parker (1944-2020), la Cinémathèque de la Ville de Luxembourg programme cette semaine Evita (1996), biopic adapté de la pièce créée en 1976 par Andrew Lloyd Webber, avec Madonna dans le rôle de la première dame d’Argentine, célèbre épouse de l’homme politique dont elle prendra le nom, Juan Domingo Perón. Mais Eva, ou Evita comme elle était surnommée parmi les classes populaires du pays, n’est pas seulement « la femme de », bien au contraire. Ce que s’emploient à démontrer les deux heures d’une histoire dans laquelle les bouleversements politiques de l’Argentine sont étroitement mêlés au parcours singulier de l’icône blonde au sourire étincelant.
Buenos Aires, 1952. Dans un cinéma de la capitale argentine, la projection d’un film est subitement arrêtée pour annoncer la disparition d’Eva Perón (1919-1952), à l’âge de 33 ans seulement. Sanglots unanimes dans la salle. À l’exception d’un personnage appelé Ché, interprété par Antonio Banderas, unique porteur d’un son de cloche dissonant au milieu de la légende dorée rapportée par Alan Parker. L’invention de ce personnage masculin le plus souvent cantonné aux marges du récit est une idée judicieuse, puisqu’elle permet d’introduire un contre-récit au sein du mythe national. Ainsi, peut émerger un regard critique sur cette fable chantée et chorégraphiée à la gloire d’Eva Perón, dès lors que le public voit s’affronter deux discours à partir d’une même réalité donnée. Cela n’empêchera pas les Argentins d’opposer au film d’Alan Parker leur propre version des faits en tournant, la même année, Eva Perón : The True story (1996).
Rien ne prédisposait cependant la petite Eva Duarte, à accéder à la légende nationale, elle qui arborait alors une simple chevelure brune. Fille de Juan Duarte, propriétaire agricole, et de Juana Ibargure, elle est âgée de six ans lorsque son père meurt ; on lui refuse d’assister à ses funérailles en raison de sa naissance adultérine. Désormais privée de soutien financier, la famille est contrainte de déménager au plus vite pour la ville de Junin. Une injustice parmi d’autres qui forgera la conscience politique future de cette femme dont l’engagement sera mis au service des femmes. Eva milite en faveur de la reconnaissance juridique du droit de vote des femmes et de l’égalité conjugale avant de créer, en 1949, le Parti péroniste féminin dont elle assurera la présidence. Une stratégie lui permettant de faire « d’une pierre deux coups » : en se hissant à la tête d’instances syndicales et caritatives, ses diverses implications contribuent à renforcer le pouvoir de son mari...
Le film d’Alan Parker ne fait nullement l’impasse sur les contradictions qui émaillent cette trajectoire fulgurante. Son ascension professionnelle repose en partie sur ses conquêtes masculines, que l’on sait nombreuses et qui lui permettent de faire la Une d’un magazine, de travailler pour la radio et le cinéma, où ses prestations se révèlent assez médiocres. Tout chavire cependant lorsqu’elle rencontre Juan Domingo Perón, alors secrétaire d’État du gouvernement issu du coup d’État de 1943, qu’elle épouse un an avant que celui-ci ne soit élu à la présidence du pays... La suite, on la connaît. Le public pourra reprendre avec Madonna les paroles du hit Don’t cry for me Argentina. Conçu comme un spectacle musical sous l’influence de Broadway, où la pièce fut tout d’abord produite, le film déploie une bande-son parfois déconcertante : des riffs de guitare électrique se mêlent par exemple à des pas de tango, transformant la vie d’Evita en un véritable opéra rock. So british !