Trois ans après le magnifique Au revoir là-haut,
Albert Dupontel est de retour derrière la caméra avec l’excellent Adieu les cons

La mourante, le suicidaire et l’aveugle

d'Lëtzebuerger Land vom 06.11.2020

Après un Au revoir, Dupontel propose un Adieu. Un psy trouverait certainement à redire à ce sujet… Deux films, deux drames qui font rire, à moins que ce ne soit deux comédies qui font pleurer. Pour son septième film en tant que réalisateur, l’ancien humoriste met en scène Suze (Virginie Efira, qui se confirme, film après film, comme une des grandes actrices francophones de ces dernières années). Elle a la quarantaine et semble, physiquement, se porter à merveille. Mais son corps est en train de la trahir. À force de faire des permanentes, des mises en plis et des mèches, la coiffeuse a respiré trop de produits nocifs en provenance des sprays qu’elle utilise sur ses clientes. Résultat, ses poumons sont en bout de course.

C’est dans le cabinet du médecin qu’on fait sa connaissance. Sa maladie auto-immune ne lui laisse pas beaucoup de temps. « Combien de temps ?», demande-t-elle au docteur. Mais au lieu d’une réponse chiffrée, elle aura droit, en retour, à une réflexion philosophique de bas étage sur le sens du temps et la différence que sa définition peut avoir chez elle que chez lui. Pour Suze, c’est un premier face-à-face brutal avec l’incompétence, l’indifférence et la perte d’humanité de notre société. Elle comprend alors qu’elle n’a pas grand-chose à espérer des autres.

Elle préfère donc replonger en elle-même et repenser à cette époque à l’image jaunie, un peu floue et granuleuse, celle de ses quinze ans quand elle avait des dreadlocks sur la tête, un piercing sur le nez et un garçon dans le cœur. Une histoire d’amour qui amènera une grossesse non désirée et un accouchement sous X. Un enfant auquel elle n’a jamais trop pensé jusque-là et dont elle ne sait pas grand-chose. Mais maintenant que ses jours sont comptés, elle ressent le besoin de faire sa connaissance.

Elle va alors se rendre à l’administration pour essayer de retrouver sa trace. Face à elle, un nouveau mur d’incompétence, d’indifférence et d’inhumanité personnifié par un petit fonctionnaire, incarnation parfaite d’une administration kafkaïenne. Et alors qu’elle est sur le point de craquer, le contreplaqué à côté d’elle explose à cause de JB (Dupontel lui-même) qui vient de rater son suicide dans le bureau d’à côté.

Il peut vivre, mais veut mourir tandis qu’elle veut vivre, mais doit mourir. C’est la rencontre ultime !

Responsable de la sécurité informatique de son administration et informaticien de génie, mais asocial à qui on a une nouvelle fois barré une promotion qui lui revenait, le quinquagénaire va mettre son expérience de l’administration et ses compétences de hacker au service de Suze. Il n’y tient pas particulièrement, mais comme on le soupçonne d’avoir fomenté un attentat, d’avoir essayé de tuer un collègue et qu’il a désormais la police à ses trousses, il n’a pas trop le choix. Car Suze est la seule à pouvoir témoigner en sa faveur. À ce duo déjà haut en couleur s’ajoutera un archiviste aveugle (Nicolas Marié), enthousiaste à l’idée de quitter temporairement ses sombres archives pour vivre une aventure à ciel ouvert. Il aime les femmes autant qu’il déteste les policiers, responsables de sa cécité.

Ce trio improbable va alors se lancer à la recherche du fils perdu, dans une incroyable aventure dans une banlieue où l’humain a de moins en moins de place. Car oui, une nouvelle fois, le réalisateur de Bernie, Le Créateur, Enfermés dehors, 9 mois ferme… parvient à raconter l’absurdité du monde et de nos sociétés, à travers un récit totalement barré, mariant burlesque et sérieux, humanisme et anarchisme, légèreté et profondeur. La griffe toute particulière de Dupontel est de parvenir à rendre l’impossible possible, l’absurde logique, l’exagération acceptable. Il parvient à chroniquer notre époque et ses dysfonctionnements, à raconter des contes ultra-réalistes dans le fond mais cartoonesques dans la forme, à mettre de la poésie là on ne la voit pas, à construire des personnages de clowns tristes d’une grande profondeur. Des personnages pleins d’humanité, dans un monde dans lequel elle fait de plus en plus défaut. Des personnages toujours présentés avec énormément de tendresse. Dans leurs bons comme leurs mauvais côtés. Dans leurs joies comme dans leurs peines.

Pablo Chimienti
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