Après avoir réalisé avec Alberto Lattuada Luci del varieta (1950), Federico Fellini (1920-1993) entame dorénavant seul la mise en scène du Sceicco Bianco (Le Cheikh blanc, 1952), long-métrage à partir duquel s’ouvre la rétrospective que lui consacre la Cinémathèque de Luxembourg au mois d’octobre. Dans ce film, les éléments caractérisant le style du démiurge italien sont d’ores et déjà posés, de la musique circassienne de Nino Rota rendant la moindre excursion spectaculaire aux mouvements de caméra sensuels ou compassionnels à l’égard des personnages qu’elle suit, le tout au sein d’une fable qui se plaît à parcourir différents milieux sociaux. Tel est le catholicisme, profondément universel, de Fellini.
Originaire de Rimini, le jeune Federico a tout le loisir de se prélasser sur les plages de la cité balnéaire et d’y croquer, de son œil acerbe et tendre de caricaturiste, les défilés de corps bizarrement emmaillotés... Une diversité humaine et morphologique que ses dessins, puis ses films, collectionnent malicieusement pour en faire des types fort reconnaissables. Ce sont les matrones aux gros seins d’Otto e Mezzo (1963) et d’Amarcord (1973), la prostituée crédule et malmenée des Nuits de Cabiria (1957), les saltimbanques qui apparaissent dès Luci del varieta, ou encore les jeunes hommes désœuvrés des Vitelloni (1953) et de Il Bidone (1955) auxquels succéderont les bourgeois décadents de La Dolce Vita... Tout ce monde superficiel, inconsistant, tel qu’il deviendra emblématique par ce paparazzo de Marcello Mastroianni, nous est restitué selon le point de vue naïf et magique de Federico enfant. Un univers enchanteur que seule relaie parmi les adultes son épouse, l’actrice Giulietta Masina, à travers les rôles de simplettes qui lui sont généralement confiés.
Dans Lo Sceicco Bianco, les fantasmes bovariens et les insatisfactions intimes d’une jeune femme fraîchement mariée, Wanda Cavalli (Brunella Bovo), trouvent moins refuge dans les bras de son mari (Leopoldo Trieste, à la tête de cheval), que dans la féerie artificielle d’un roman-photo ayant pour héros un cheikh blanc (Alberto Sordi)... À peine arrivée à Rome, au cours d’un séjour de noces où elle est censée rencontrer sa belle-famille, Wanda est sous l’emprise de son imagination enflammée : elle ne songe qu’à rejoindre au plus vite ce personnage fabuleux avec lequel elle a secrètement entretenu une correspondance admirative. La distance relative à la lecture du roman-photo est alors abolie puisque, en intégrant le tournage de celui-ci, Wanda entre littéralement dans l’histoire, devient provisoirement l’un de ses figurants, et contribue même au dialogue d’un épisode... Alberto Sordi, auquel la prochaine édition du Festival du Film italien de Villerupt (23 octobre-8 novembre) rendra hommage, est parfait dans le rôle de la vedette à trois sous qui sait tirer profit de son influence sur les esprits féminins les plus fragiles. Jusqu’à ce que Wanda se rende enfin compte de l’écart entre le personnage et la personne, entre la fresque épique que son héros incarne à l’écran et le minable queutard qu’il est en réalité...
Voilà pourquoi la séparation entre le plateau de tournage et le public doit être strictement maintenue. Sur les écrans de cinéma, ce sont les personnages que nous rencontrons, jamais les personnes. Et pour aimer les personnages, mieux vaut ne pas connaître leur vie privée.