Les juges de la Cour de justice des communautés européennes n’ont pas été impressionnés par les prévisions alarmistes des autorités luxembourgeoises, qui estiment que les nouvelles contraintes imposées par une directive de 20091, avec la mise en place de mécanismes formels de consultation des compagnies aériennes et de supervision pour l’établissement des redevances aéroportuaires, coûteraient 839 500 euros par an, entraînant une hausse de seize pour cent de la redevance actuelle pour les services aux passagers. Ces obligations ne frappent que les aéroports « principaux » des États membres ou ceux qui affichent un trafic de plus de cinq millions de passagers par an. Une sélectivité contestée par le Luxembourg dans la procédure judiciaire (d’Land du 19.06.2009).
Prélevée par Luxairport, le gestionnaire du Findel, après consultation du Comité des usagers, cette redevance, actuellement à trois euros par passager, augmenterait alors de cinquante cents par passager, ce qui reviendrait à son niveau d’avant le 1er janvier 2010 (3,50 euros/passager). À cette date et pour soutenir l’activité aérienne à partir du Luxembourg, très secouée par la crise, comme partout dans le monde, et victime prétendue de la concurrence des plateformes low-cost voisines (Charleroi, Hahn et Nancy-Metz), Luxairport avait en effet réduit la taxe de cinquante cents. La redevance était restée inchangée depuis 2006, en dépit de l’aménagement du nouveau terminal au Findel qui a fait faire un saut qualitatif important à un aéroport qui avait été comparé par un ancien dirigeant de Luxair à un aéroport africain.
La taxe d’atterrissage, qui est, elle, fonction du tonnage des avions, et la taxe sur les vols de nuit, relevant de la compétence de l’Administration de la navigation aérienne (Ana) et concernant essentiellement le fret, étaient restées inchangées en 2010, mais les autorités ont eu la main plutôt généreuse envers les compagnies utilisatrices du Findel, puisqu’une partie des taxes leur fut remboursée en 2009 au nom des « mesures d’atténuation » de l’impact de la crise, comme l’a récemment confirmé dans un document parlementaire Claude Wiseler, le ministre CSV du Développement durable et des Infrastructures. La Commission européenne elle-même aurait inspiré ces mesures dont la légalité ne fait aucun doute, a argumenté Claude Wiseler, en tentant de justifier le montant d’environ 1,2 million d’euros ainsi restitués aux opérateurs de fret, dont 743 902 à la seule compagnie Cargolux. Des remboursements (d’ailleurs prévus dans la réglementation et qui doivent être soumis à l’accord préalable du ministère des Transports) qui correspondent à environ un dixième des coûts totaux de l’Ana (14 millions d’euros en 2008, selon des données fournies à la Commission européenne au nom de la « transparence pour la fourniture de services de navigation aérienne »).
Si l’Ana fournit des statistiques très à jour sur l’évolution du trafic au Findel, cette administration ne laisse rien transparaître sur son site Internet sur le mode de calcul des taxes perçues ni de ses coûts de fonctionnement. Luxairport ne détaille pas non plus comment est déterminée la redevance pour les passagers. On peut dès lors s’interroger sur le rapport qualité/prix des redevances et autres taxes en relation avec les coûts de l’infrastructure et se demander si, dans le cas du Luxembourg, plus que d’abuser d’une prétendue position dominante avec les utilisateurs en leur imposant le tarif fort, la stratégie ne serait pas davantage celle de facturer les taxes à prix d’amis, défiant toute concurrence, sans relation avec la réalité économique. Il y a encore beaucoup de services que les autorités ne font pas payer aux opérateurs, ce qui serait suceptible de fausser la concurrence.
La taxe à la tonne pour le fret prélevée au Findel ne dépasse pas le plafond de quatre euros (pour les plus gros avions de type jumbo jet), alors qu’à l’aéroport de Leipzig, elle s’élève à sept euros. On peut aussi s’interroger sur l’énergie considérable qu’ont déployée les autorités luxembourgeoises en se battant jusqu’au bout devant la Cour de justice européenne contre le texte de la directive sur les redevances aéroportuaires. Le seul allié trouvé parmi les partenaires de l’UE fut la République slovaque, encore que son interprétation de la directive divergea durant la procédure devant la Cour de l’UE des vues des Luxembourgeois. Les juges ont mis fin le 12 mai dernier à tout espoir de voir la directive de 2009 annulée.
Le souci de la transparence a poussé la Commission européenne à établir des « principes communs pour la perception de redevances aéroportuaires », taxes correspondant « aux infrastructures et/ou au niveau de services fournis », soumises à la consultation des usagers des aéroports (au moins une fois par an, ce qui est déjà le cas au grand-duché), c’est-à-dire les compagnies, et élaborées selon des « critères objectifs et non discriminatoires ». La qualité du service fourni doit également faire l’objet d’un examen critique. Le texte de 2009 n’impose pas grand-chose pour la détermination des redevances (ni qui doit les prendre en charge : les compagnies ou l’État) et en tout cas pas de méthode de calcul précise, laissant pour cela une marge de manœuvre assez confortable aux États-membres. En tout cas, le mode de fonctionnement de l’actuel Comité des usagers de l’aéroport, que les mauvaises langues assimilent à une sorte de « syndic de co-propriétaires », où les intérêts du gestionnaire se confondent avec ceux des compagnies, devra changer.
La Commission européenne a d’abord cherché à ce qu’une certaine harmonisation se fasse, du moins dans les aéroports principaux, pour assurer la comparabilité des frais ponctionnés sur les usagers et éviter les abus, car pour Bruxelles, la redevance est un élément déterminant dans l’activité aérienne en Europe et donc sa compétitivité.
Le ministère du Développement durable et des Infrastructures devra maintenant faire vite pour transposer un texte qui aurait déjà dû l’être avant le 15 mars 2011 et éviter le stade suivant de la procédure, qui pourrait lui valoir des astreintes à payer pour les jours ou les mois de retard dans l’adoption des nouvelles règles du jeu.
On sait encore peu de chose sur la manière dont la nouvelle autorité de supervision, qui doit être indépendante de Luxairport, va s’articuler et ce que son fonctionnement pourrait coûter, ni combien de personnes y seront affectées, mais le scénario de la mise en place d’une énième structure de supervision, qui s’ajouterait aux nombreuses entités mises en place depuis la fin des années 1990 pour reprendre en partie des compétences de la Direction de l’aviation civile, semble désormais écarté. Pour sa défense devant la Cour de justice et afin de montrer le caractère disproportionné des exigences de la directive pour un pays de la taille du Luxembourg, le scénario d’une administration coûtant plus de 840 000 euros par an constituait surtout un argument de défense qui s’est d’ailleurs avéré peu convaincant face aux juges. « Les documents produits ne donnent en aucune manière à penser que, en raison des coûts et des charges administratives qu’entraînerait l’application de la directive, les compagnies aériennes seraient incitées à quitter l’aéroport du Findel en faveur d’aéroports comme celui de Hahn. L’analyse relative à l’impact financier de la directive effectuée par le Luxembourg fait plutôt apparaître une augmentation très limitée des coûts », notait à cet égard l’avocat général de la Cour dans ses conclusions en décembre. Les juges n’ont pas dit autre chose dans leur arrêt du 12 mai dernier, indiquant en substance que le type de clientèle des aéroports principaux, à la différence des plateformes low-cost comme Hahn, était peu sensible aux prix du billet et que l’attractivité du Findel, du fait de sa proximité de la capitale, resterait intacte. « Il ne semble pas que les coûts théoriques décrits par le Luxembourg soient disproportionnés par rapport à l’intérêt que présente la mise en oeuvre de la directive par tous les États membres », souligne l’arrêt.
Sur le terrain, l’aéroport de Luxembourg est en train de devenir un lieu stratégique qui attire de plus en plus de compagnies, faisant de l’ombre à Luxair. Rien à voir avec Hahn ou l’aéroport de Nancy-Metz. Cette semaine, un des directeurs commerciaux de British Airways n’a pas caché que sa nouvelle ligne qui relie depuis le mois de mars le Findel au nouveau terminal de Londres Heathrow visait à concurrencer « les autres compagnies » notamment pour assurer les liaisons long-courrier.
Le scénario le plus probable reste donc le rattachement de la supervision des redevances à une autorité indépendante déjà établie pour minimiser l’impact financier de la directive. Pourquoi pas d’ailleurs l’Institut luxembourgeois de régulation ? La décision sera prise dans quelques semaines, assure-t-on au ministère.
L’autre coup de bluff des autorités luxembourgeoises dans la procédure fut l’affirmation qu’un renchérissement de la redevance ne serait répercutée que sur les passagers, en épargnant ainsi les compagnies de fret et qu’en aucun cas, l’État ne prendrait les coûts de la transposition à sa charge. Pas si sûr.
La direction de Luxairport n’a pas souhaité se prononcer sur la question, renvoyant la balle au ministère du Développement durable et des Infrastructures où l’on assure sa détermination à maintenir des redevances aussi basses que possible. Le montant de la redevance 2012 devra bientôt être discuté avec le Comité des usagers, qui n’a pas un droit de veto, mais seulement un rôle consultatif.
La Commission s’est engagée à présenter au Parlement européen et au Conseil un rapport sur l’application de la directive et l’évaluation de ses objectifs avant le 15 mars 2013. Pour Bruxelles, il est clair que la fixation transparente des redevances aéroportuaires devrait devenir un argument de vente pour attirer un nombre toujours plus grand de compagnies vers les aéroports qui offrent cette garantie. Pourquoi alors la craindre ?