La place s’inquiète à juste titre des conséquences de la suppression du secret fiscal pour l’avenir de la banque privée. On parle moins de l’assurance-vie alors que celle-ci occupe désormais une place significative dans le paysage financier luxembourgeois. Comment ce secteur d’activité, qui malgré la crise continue à afficher sur le marché international une croissance robuste, va-t-il résister aux profonds changements fiscaux qui se profilent à l’horizon ?
La démarche du preneur étranger d’assurance-vie qui vient souscrire son contrat à Luxembourg peut procéder de deux approches différentes : il y a celui qui entend s’affranchir de toute fiscalité en dissimulant le contrat aux autorités nationales dont il relève ; à l’inverse, il y a celui qui assume totalement la fiscalité attachée à son contrat dans son pays de résidence et qui choisit de le souscrire à Luxembourg pour des raisons tenant à la protection de sa vie privée, à la technique-produit ou à la réglementation applicable aux entreprises d’assurance. Ces deux cas de figure doivent être distingués.
Le premier type de client est déterminé par le secret fiscal auquel les assureurs-vie luxembourgeois, leurs employés et leurs intermédiaires sont assujettis, au même titre que les banquiers. La pertinence d’une telle démarche s’est effilochée à mesure que le secret fiscal perdait de sa consistance. Aujourd’hui, il devient de plus en plus difficile d’invoquer de façon crédible un secret fiscal moribond comme argument de souscription d’un contrat d’assurance-vie luxembourgeois. Mais il serait vain de nier que cet argument a servi dans le passé, et même dans un passé relativement récent, comme en témoigne la flambée des primes collectées sur le marché belge en 2009 et 2010, laquelle ne s’expliquait que par un prétendu effet d’aubaine fiscale savamment exploité par des vendeurs persuasifs. Il existe donc bien une clientèle, dont le fameux dentiste belge est l’archétype, qui a choisi le Luxembourg pour échapper à l’impôt en se réfugiant derrière le secret professionnel. Généralement considérée comme marginale, cette clientèle devrait se tarir dans l’avenir. Sous l’effet de la crise financière, la stigmatisation croissante de l’évasion fiscale internationale a entraîné une profonde évolution des esprits, mais aussi des pratiques professionnelles. La charte de qualité adoptée en mai 2013 par l’organisation des assureurs luxembourgeois, l’ACA, en apporte une illustration édifiante. On peut y lire en effet : « Tout prestataire de services financiers doit s’efforcer d’éviter de contribuer, de manière systématique ou en connaissance de cause, à une évasion fiscale ou à toute autre activité contraire aux lois et règlementations des pays où lesdits services sont proposés. Les compagnies d’assurance vie s’engagent à mettre à disposition de leurs clients les données dont ils ont besoin pour compléter leur déclaration d’impôts ». La portée de ce document ne saurait être sous-estimée : implicitement mais sûrement, il flétrit les assureurs complaisants envers l’évasion fiscale ; et il les expose à répondre envers leurs clients de l’impasse dans laquelle ceux-ci se trouvent piégés, compte tenu de l’impossibilité de garantir à terme le maintien du secret fiscal. De surcroît, on ne saurait exclure que certains États aux pratiques judiciaires musclées engagent contre les professionnels imprudents des poursuites pénales pour blanchiment de fraude fiscale : la banque UBS vient d’en faire l’expérience avec des juges d’instruction français… Autant de raisons qui autorisent à penser que l’évasion fiscale internationale sous couvert de contrats d’assurance-vie luxembourgeois appartient au passé. Il reste que les bilans des compagnies renferment un stock de contrats anciens non-déclarés au fisc, dont le nombre et le montant sont difficiles à évaluer. Tout comme il est malaisé de prévoir si leurs titulaires les conserveront ou en demanderont le rachat. Cela dépendra notamment des modalités d’application de l’échange automatique d’informations : s’appliquera-t-il aux contrats en cours ou seulement à ceux souscrits après son entrée en vigueur ? Ce point laisse augurer des négociations délicates. Quelle qu’en soit l’issue, on peut s’attendre à ce que la disparition du secret fiscal entraîne pour les bilans des assureurs-vie luxembourgeois une perte de substance, même si celle-ci devrait rester limitée.
Fort heureusement, l’assurance-vie luxembourgeoise s’est, surtout depuis le début des années 2000, développée sur des arguments autres que le secret fiscal : un environnement réglementaire réactif ; et une régulation sérieuse s’inspirant du « mieux disant » plutôt que du « moins disant » réglementaire. La réglementation luxembourgeoise de l’assurance-vie n’a jamais été laxiste. Elle s’est toujours montrée rigoureuse – parfois plus qu’ailleurs – sur le chapitre de la sécurité financière des clients. Cette rigueur sur le chapitre de la protection du client s’accompagne d’un grand pragmatisme dans la conception des produits. Ainsi, les règles d’investissement applicables aux contrats d’assurance-vie liés à des fonds d’investissement ont-elles, depuis 2001, été régulièrement adaptées à l’évolution des marchés financiers et aux nouvelles opportunités de placement qui en résultaient. En sorte que, sans verser dans un ultra-libéralisme à l’anglo-saxonne, la réglementation luxembourgeoise de l’assurance-vie offre un cadre séduisant pour les épargnants internationaux. En particulier, elle leur ouvre avec les fonds dédiés l’accès à une véritable gestion sous mandat avec des ratios de dispersion souples ; la possibilité d’investir dans des actifs plus variés que dans les pays voisins (fonds immobiliers, gestion alternative, titres non cotés …) ; l’opportunité de mettre en place une gestion familiale ; et la possibilité de souscrire, comme de dénouer, le contrat en numéraire ou par apport de titres. Cette réglementation bien profilée, servie par le dynamisme des acteurs de la place, a largement fait ses preuves et explique le succès des contrats luxembourgeois. Le deuxième Life Insurance Summit, qui s’est tenu le mois dernier, a du reste permis de vérifier que la législation luxembourgeoise bénéficie dans les milieux internationaux de l’assurance-vie et de la gestion de patrimoine d’une appréciation positive, certains n’hésitant pas à affirmer qu’elle n’a pas d’équivalent en Europe.
Les épargnants qui se tournent vers les assureurs-vie luxembourgeois pour ces raisons techniques représentent l’essentiel de leur clientèle. Ils sont totalement indifférents au secret fiscal dont la suppression n’entraînera aucun effet, puisque leur contrat est clairement assumé auprès des autorités fiscales de leur pays de résidence. Mais cela ne signifie pas que leur démarche soit exempte de considérations fiscales. Le choix d’investir dans un contrat d’assurance-vie est en effet largement déterminé par le régime fiscal favorable dont bénéficie l’assurance-vie dans la plupart des pays européens, tant en ce qui concerne les revenus du contrat que la transmission du capital aux bénéficiaires après décès. Or, la nécessité où se trouvent nombre d’États de restaurer leurs finances publiques par la levée d’impôts supplémentaires risque de remettre en cause, totalement ou partiellement, les faveurs fiscales attachées à l’assurance-vie dont les encours représentent une assiette taxable convoitée. Un alourdissement général et massif de la fiscalité apparaît toutefois peu probable, car il déstabiliserait l’industrie de l’assurance-vie dans les pays concernés, ce qui explique la prudence manifestée en la matière par les autorités françaises. Mais il faudra se montrer attentif au sort des contrats à fonds dédiés, plus vulnérables à une offensive fiscale, parce qu’ils sont une spécialité luxembourgeoise et qu’ils concernent une clientèle aisée. Ces contrats occupent dans les provisions et dans les souscriptions nouvelles des compagnies luxembourgeoises une place importante à raison de leur montant unitaire élevé. Afin de préserver leur avenir, largement suspendu au maintien du statut fiscal de l’assurance-vie, il serait sans doute préférable d’éviter de les promouvoir systématiquement comme outil d’optimisation fiscale pour investisseurs fortunés, et de s’en tenir à ce qui est leur véritable nature : une variété de contrats d’assurance-vie.