Peut-on sauver le secret professionnel pour les contribuables résidents et l’abolir pour les non-résidents de l’Union européenne et les Américains ? En avril, une note du ministère des Finances en marge de l’annonce du passage à l’échange automatique d’informations fiscales, affirmait que le secret bancaire serait maintenu pour les contribuables luxembourgeois et que rien ne changerait pour eux. La question du sauvetage du secret bancaire à l’intérieur du pays n’a pas fait couler beaucoup d’encre, sans doute parce que l’intérêt du grand public s’est focalisé sur les affaires du Bommeleeër et du Service de renseignement, en tout cas n’a pas suscité les mêmes débats qu’en Suisse et en Autriche, où l’on songe à ancrer le secret professionnel dans la Constitution pour les résidents, à tout le moins y inscrire le droit de toute personne au respect de sa sphère privée et à la confidentialité de sa situation financière. L’idée circule aussi dans les milieux financiers grand-ducaux, reste à savoir quel en sera l’écho auprès de la classe politique.
À cette première problématique s’ajoutent des interrogations ayant trait à l’élargissement prévisible de la directive européenne de 2003 sur la fiscalité de l’épargne à d’autres produits que les revenus d’intérêts et les coupons d’obligations, pour en étendre le champ d’application aux dividendes ou aux produits d’assurance-vie, ces derniers entrant dans la gamme de la gestion privée et échappant encore pour l’heure au prélèvement de 35 pour cent ou à l’échange automatique d’information, au choix du client étranger.
Lorsque la directive de 2003 fut transposée au Luxembourg par la loi du 21 juin 2005, fut parallèlement adoptée pour les contribuables résidents une loi du 21 décembre 2005 introduisant une retenue à la source libératoire de dix pour cent sur certains intérêts produits par l’épargne mobilière. Dispositions qui furent applicables à partir de l’année fiscale 2006. La retenue nationale a rapporté un montant de 40 millions d’euros dans les caisses de l’État luxembourgeois en 2012. Dans le même temps, l’impôt sur la fortune fut abandonné pour les personnes physiques pour n’être conservé que pour les personnes morales, c’est-à-dire les sociétés. Ne sont actuellement visés dans le texte luxembourgeois, presque inchangé depuis 2005, que les produits qui étaient eux-mêmes couverts par la directive de 2003 : les intérêts bonifiés sur les comptes ouverts auprès d’un établissement de crédit comme les dépôts d’épargne, les dépôts à vue ou à terme ainsi que les intérêts d’obligation (coupons). Les comptes-épargne logement entrent également dans le champ de la retenue de dix pour cent. En revanche, en sont exclus les intérêts, primes, boni et autres avantages accordés sur les comptes courants et à vue, si la rémunération ne dépasse pas le taux de 75 pour cent, les revenus provenant de la vente de parts de Sicavs obligataires capitalisantes, les revenus distribués par des Sicav obligataires, les dividendes et les produits d’assurance.
La loi du 21 décembre 2005 sur la retenue libératoire se calque sur la loi du 21 juin 2005 sur la fiscalité des revenus de l’épargne des non-résidents de l’UE, ce qui avait eu le mérite à l’époque d’une mise en application aisée pour les banques, notamment sur le plan du traitement informatique, identique pour les épargnants résidents et les clients étrangers. Or, cette presque parfaite concordance des deux textes, à tout le moins pour la couverture des produits d’épargne, avait aussi plusieurs inconvénients au plan luxembourgeois : d’abord celui d’accorder des traitements différents selon les types de revenus. Les produits d’assurance-vie ou d’épargne pension par exemple sont restés partiellement défiscalisés jusqu’à concurrence de certains plafonds. Le second inconvénient, et le Conseil d’État ne se lassa pas de rappeler dans son avis sur le projet de loi les risques liés à cet « effet miroir », était « le rattachement européen » des revenus et des personnes entrant dans le champ d’application de la retenue nationale. Ainsi, pour les Sages, il sera nécessaire de changer la loi sur la retenue libératoire de dix pour cent à chaque modification de la directive sur l’épargne dans l’UE. C’est bien ce qui va se produire : les discussions des ministres des Finances européens tournent actuellement autour d’une ouverture du champ d’application de la directive de 2003, entre autres, aux dividendes et aux contrats d’assurance-vie. Les dividendes ne devraient pas poser de difficultés techniques ni philosophiques insurmontables pour être intégrés dans le champ de la loi du 21 décembre 2005 et être soumis à une retenue libératoire de dix pour cent, si tant est que la volonté politique y soit et que les milieux financiers y soient également favorables. La discussion n’a pas encore eu lieu publiquement.
Il en va différemment des produits d’assurance-vie, où déjà sur le plan européen, les 27 États membres s’écharpent entre eux sur leur inclusion en raison essentiellement des traitements fiscaux très disparates qui sont accordés aux contrats d’assurance, mais aussi aux discordances des Européens entre eux sur la notion de plus-values tirées des produits d’assurance. Bref, l’assurance est un secteur à part. S’y ajoute la complexité des contrats : certains étant des pures répliques de produits financiers, sans composante de risques, comme le décès ou l’invalidité (méritant de ce fait d’être traités de la même manière que les dépôts d’épargne), d’autres s’assimilant à de la rente, donc à de l’épargne conventionnelle à long terme. « Il n’existe pas encore de définition cohérente des gains de l’assurance-vie, les définitions sont trop disparates sur les plus-values assurantielles », résume Philippe Bonte, directeur de Foyer Vie dans un entretien au Land. La question de l’inclusion de l’assurance-vie dans la directive nouvelle mouture promet donc des nuits blanches aux ministres européens des Finances et à leurs experts, qui ont déjà mis plus de vingt ans avant d’accorder leurs violons sur les simples dépôts d’épargne et abouti en 2003 à un texte minimaliste ouvrant des autoroute à la fraude fiscale qu’il entendait précisément combattre. Les discussions devraient reprendre à la fin de l’année et personne n’ose faire de pronostics sur les chances de déboucher sur un consensus.
En tout cas, pour Marc Hengen, administrateur-délégué de l’Association des compagnies d’assurances (ACA), même si les discussions devaient aboutir au niveau européen, les modifications éventuelles de la directive « n’auront pas forcément d’incidence » au niveau national sur le traitement des contrats d’assurance-vie souscrits par les clients résidents. Leur fiscalité devrait rester inchangée. C’est moins évident pour ce qui est de l’absolue confidentialité des contrats.
Sur le plan des grands principes, les professionnels de l’assurance se veulent rassurants pour dire que le secret professionnel ne sera pas sacrifié au Luxembourg sur l’autel du passage à l’échange automatique d’informations à partir de 2015 : « On ne touchera pas au secret professionnel », affirme Philippe Bonte. Il rappelle que les seules exceptions au secret de l’assurance sont celles qui sont prévues par la loi, par exemple lors du décès d’un assuré résident, qui oblige l’assureur à communiquer à l’Administration de l’enregistrement et des domaines les montants versés ainsi que les noms des bénéficiaires des primes. Il n’y a pas d’autres communications prévues, « ni actives, ni passives », précise l’assureur, qui ne croit pas d’ailleurs à un changement de régime fiscal des produits d’assurance-vie – sauf peut-être, plaisante-t-il, à espérer un jour une déductibilité accrue des primes –, ni à leur intégration dans le champ de la loi du 21 décembre sur la retenue libératoire, au même titre que les coupons obligataires ou l’épargne-logement.
Pour autant, le secret de l’assurance (celui de la banque aussi) pour les résidents n’est plus aussi absolu qu’il le fut autrefois, tant pour les clients luxembourgeois que pour les étrangers. Du moins les professionnels du secteur financier et de l’assurance n’entendent plus couvrir la fraude fiscale. De personne. Au printemps dernier, l’Association des compagnies d’assurances, l’ACA, a en effet signé une Charte de qualité pour l’assurance-vie, à l’instar de leurs collègues du secteur financier qui ont adhéré à l’ICMA quelques mois plus tôt : plus question ainsi pour les uns et les autres d’accepter des nouveaux clients qui seraient en délicatesse avec leur fisc. L’argent doit être propre et transparent pour tout le monde, y compris les résidents grand-ducaux. « Nous nous sommes inscrits dans une logique nouvelle, assure Philippe Bonte. Nous n’acceptons plus l’argent non déclaré, ou un peu gris. » Les assureurs-vie luxembourgeois ne font là qu’anticiper une directive européenne sur la lutte contre le blanchiment, qui couvrira bientôt dans les 27 États membres de nouvelles infractions primaires comme le blanchiment de fraude fiscale. Or, si les assureurs refusent l’argent de la fraude fiscale des épargnants européens, ils ne peuvent pas non plus l’accepter pour les clients résidents : « La Charte de qualité de l’assurance-vie s’applique à toute notre production, aucune clause ne prévoit que les dispositions ne concernent que les non-résidents », précise Philippe Bonte.
Il y aura donc un impact évident sur le marché national, ou comme ailleurs, il est devenu « excessivement difficile de placer des fonds dont la provenance n’est pas claire » du point de vue fiscal. Même si les assureurs et les banquiers ne sont pas encore obligés de dénoncer les fraudeurs au Parquet de Luxembourg ils le font déjà au moindre soupçon d’autres infractions de blanchiment.