La ponctualité a beau être la politesse des rois (et des autres personnes). Il est des situations où il vaut mieux arriver en retard. Ce qui a été le cas pour la dessinatrice de presse Catherine Meurisse un 7 janvier 2015, ayant dormi trop longtemps, n’étant pas présente à temps à la conférence de la rédaction de Charlie Hebdo, au moment où les tueurs font intrusion, tirant furieusement sur l’équipe du journal, au bilan terrible de huit morts et quatre blessés. Alors que Catherine Meurisse aperçoit les assaillants dans la rue au moment où ils s’enfuient.
Il est des situations, des chances dont on a du mal à se remettre. Destin paradoxal du survivant. Il en est allé ainsi pour Catherine Meurisse, elle s’est plongée dans le travail, a quand même quitté le dessin de presse pour étoffer sa propre œuvre. Toujours le paradoxe, elle a donné le titre de légèreté à son album qui a suivi, pour se sortir du trou en quelque sorte, et on lit sur le dos de la couverture, « moi, ce qui m’a soudain paru le plus précieux, après le 7 janvier, c’est l’amitié et la culture… moi, c’est la beauté… c’est pareil ». À quoi on peut ajouter, comme antidote au pesant souvenir, la nature, témoin son avant-dernier album, les Grands Espaces, où Catherine Meurisse revient sur son enfance à la campagne dans le marais poitevin.
Ce mois de janvier-ci, cinq ans après donc, Catherine Meurisse a été élue à l’Académie des beaux-arts, en section peinture. Échappée miraculeusement à l’attentat, à une mort quasi certaine, la voici Immortelle, et c’est la première fois que la bande dessinée se trouve représentée dans la vénérable assemblée de l’Institut.
Comme pour justifier, rendre tout à fait légitime, son élection, à peu près en concomitance, venait de paraître son tout dernier album, consacré à Delacroix, oui, le peintre romantique (chez Dargaud). Et c’est bien plus qu’une simple BD, cela dit avec tout l’estime pour le genre. Catherine Meurisse y reprend un texte d’Alexandre Dumas, une causerie de l’écrivain au sujet de son ami peintre, de l’homme, mais n’en caractérisant pas moins les talents de l’artiste. Au-delà même, Dumas nous en apprend long sur la relation à l’époque, autour de 1830, des artistes à leur temps, aux riches, au pouvoir. Comme l’évoque le peintre dans un dessin de Catherine Meurisse, « si je n’ai pas vaincu pour la Patrie, au moins j’aurai peint pour elle », et célébré la Liberté guidant le peuple.
Alexandre Dumas comme guide dans le Salon carré du Louvre, c’est là qu’eurent lieu les expositions temporaires : première image de l’album, dans une pléthore qui ne manque pas d’humour. Et Catherine Meurisse d’accompagner la causerie, de s’y engouffrer, dit-elle, et à notre tour, on se régale à toutes ces saynètes qui en rajoutent à l’esprit de Dumas. Mais l’originalité de l’album est ailleurs, dans les reprises, les représentations de tels tableaux de Delacroix par la dessinatrice, non, par celle qui s’est faite peintresse. On est loin de copies, c’est un hommage plein de fougue, c’est enlevé, et c’est un véritable enchantement que pareille liberté, il est vrai que personne n’y pouvait mieux guider que Delacroix. Comme elle dit vrai, Catherine Meurisse : « J’avais ce désir de couleur, de faire quelque chose de flamboyant, d’extrêmement vivant. »
Au tour maintenant de nous surprendre, en habit vert, l’épée à côté, ça surprendra déjà les amis de Charlie Hebdo, avec son discours de réception. Et en avril, la Bibliothèque publique d’information (BPI) du Centre Pompidou reprendra l’exposition montrée au dernier Festival d’Angoulême. Plus tard, en fin d’année, Catherine Meurisse dessinera en direct, à la Philharmonie de Paris, pendant une représentation de l’Oiseau de feu, de Stravinsky. La musique rejoignant la peinture, s’y associant.